Peau d'Âne : la version sertie d'or, de poésie et d'écologie de Cécile Roumiguière et Alessandra Maria
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.com/ Peau d’Âne est assurément un conte troublant… il mêle à la fois l’excitation exquise de la confection et découverte successive des robes merveilleuses exigées par la princesse et le dégoût pour ce père chargé d’un souhait incestueux : celui d’épouser sa propre fille à la mort de sa chère épouse qu’il avait tant aimé…
Le conte original était déjà pertinent à découvrir avec les enfants pour aborder de nombreuses thématiques : les relations interfamiliales et la nature de l’amour qui lie les membres d’une même famille, les critères de choix de l’être aimé.e (l’épouse réclame sur son lit de mort à son mari de n’épouser qu’une femme plus belle qu’elle, véhiculant elle-même l’un des critères les plus rétrogrades qui soient!)…mais celui de Cécile Roumiguière ajoute une touche de contemporanéité délicieuse. Dans sa version remarquablement réécrite, aux phrases ciselées à la poésie et à l'écho intelligent avec les préoccupations écologiques d'aujourd'hui, l’âne du Roi a des qualités somme toute assez naturelles - « cet âne était l’animal fétiche du Roi. Il était là depuis toujours. Il avait voyagé avec les souverains dans leur vaisseau, et fournissait en crottant un engrais de croissance si puissant qu’il garantissait l’abondance à tout le pays »; le royaume vit en harmonie avec la nature, constitué d'un peuple d’êtres végétariens reconnaissants envers leurs souverains ; la princesse a pour alliée une fée rusée, à la personnalité pétillante, et la jeune fille déterminée finira même par faire changer les habitudes alimentaires de son futur époux et de tous ses sujets !
Lire Peau d’Âne, c’est (re)vivre les péripéties des robes aux couleurs de l’océan, couleur du jour, couleur de la nuit, partager avec la jeune héroïne - voulant échapper à son destin - l'épreuve de sa fuite sous la peau d’une pauvre bête, celle de la préparation du gâteau imaginée par le prince… Accompagné des illustrations cousues d’or d’Alessandra Maria - talentueuse artiste américaine, l’oeil jouit d'originales fenêtres picturales qui tranchent avec l'imagerie et la colorimétrie habituelles utilisées pour raconter cette histoire. Le choix d’une gamme chromatique singulière rappelant les icônes religieuses byzantines, la présence de portraits d’un émouvant réalisme sur lesquels se superposent des effets de dorure symbolistes ou encore de paysages impressionnistes et de compositions n’illustrant volontairement pas directement le texte mais offrant simplement une échappée visuelle libre de toute interprétation, s’avèrent les points forts de cet album aussi singulier que beau.
Ce Peau d’Âne, édité dans une collection de classiques revisités dirigée par Benjamin Lacombe, ravira assurément tous les lecteurs et lectrices de 7 à 107 ans!
"En ce lieu que tous nommaient le Royaume, le temps s’était arrêté, tous attendaient.
Il était une fois, dans une chambre éblouissante de lumière, encerclé par les reflets que se renvoyaient les murs couverts de miroirs, un homme. Agenouillé auprès d’un immense lit, cet homme semblait prier. Il murmurait :
— Tu es si belle, ce matin encore. Comment pourrais-je y croire?
La femme la plus belle que l’on eût jamais vue était étendue là, sur des draps plus blancs qu’une aube enneigée. Elle souriait.
— Il le faudra pourtant, tu le sais. Ce soir, je ne serai plus de ce monde.
Les larmes de l’homme coulèrent sur ses joues, la femme serra sa main entre les siennes.
— Si tu te remaries, promets-moi…
Et comme l’homme protestait, elle resserra son étreinte.
— Promets-moi que tu n’épouseras qu’une femme plus belle que moi…"
Peau d’Âne
Editions : Albin Michel Jeunesse
Texte : Cécile Roumiguière
Dessin : Alessandra Maria
64 pages
Prix TTC : 19,90 €
Parution : 30 octobre 2019
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