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« Un monde nouveau » : le retour du grand roman américain, un pavé de bonnes intentions

  • Écrit par : Guillaume Chérel

un monde nouveauPar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Jess Row (51 ans), dédie son premier roman, traduit en français (« Un monde nouveau ») aux « rêveurs, militants, universitaires, chercheurs, avocats, journalistes, artistes et simples citoyens ».

Aux résistants progressistes, il aurait pu ajouter, qui y croient encore malgré leurs contradictions. Dans une Amérique « Trumpée », où l'étranger est devenu l'ennemi : « J'en ai ma claque des bien-pensants du Nord-Est qui pètent plus haut que leur cul mais emploient des sans-papiers pour l'entretien de leur maison, qui font comme si on vivait en démocratie, mais se comportent comme s'ils étaient à Dubaï. »

« Un monde nouveau » est un roman exigeant, comme on dit lorsque la lecture donne l’impression de passer un examen de Q.I. Il faut dire que l’ambition est annoncée en quatrième de couverture, puisque Philip Roth et Jonathan Franzen sont convoqués, alors qu’ils n’ont rien demandé, surtout l’ex-Prix Pulitzer de la fiction, dont l’humour (juif) allégeait ses œuvres les plus ambitieuses (« Pastorale américaine », « La tache », « Le complot contre l’Amérique »…). Il est aussi fait référence à Borges, Primo Levi, Henry James, le grand écrivain de la côte Est. « (…) un bel endroit pour se reposer les yeux pendant que la vraie vie suit son cours ailleurs. » C’eut été Henry Miller, ou Paul Auster, on aurait souri davantage… La nouvelle génération est-elle plus grave ? Ou se prend-t-elle plus au sérieux ?

Or donc, il s’agit ici d’un roman complexe, érudit, voire, savant, qui porte sur le chaos du monde, à travers le prisme d'une famille américaine – une fois de plus -, qui se brise, suite à la mort d'une de ses filles, tuée en Cisjordanie par un snipper israélien. On comprend assez vite que la fracture date de bien avant ce drame. C’est ce que démontre Jesse Row en explorant, par le détail, l’existence des Wilcox, une famille « bourgeoise intello ». Pour résumer, le monde de la majorité des films de Woody Allen (en moins drôle, répétons-le). Ou les névroses d'une famille moderne Newyorkaise type…

Au bord du suicide, membre d'un cabinet d'avocats huppé, Sandy ne s'est jamais remis de son divorce. Son ex-femme, Naomi, géophysicienne de renom, vit recluse dans un laboratoire avec sa nouvelle compagne. Patrick, le fils aîné, s'est installé au Népal, où il est devenu moine bouddhiste. Sa sœur, Winter, avocate, également, défend les sans-papiers, mais en veut à leur mère de leur avoir longtemps caché l'identité de son père biologique (un black !). Tous sont hantés par la disparition tragique de Bering, la cadette, militante pacifiste morte à vingt et un ans, en Cisjordanie, sous les balles d'un soldat israélien. Inutile de préciser qu’ils sont juifs… Le roman est diablement d’actualité. Comment ont-ils bien pu en arriver là ? Cette fracture entre eux (la famille), voire plus métaphoriquement, au sein du peuple juif, est-elle irrémédiable ?

Sandy, l'avocat en retraite (de trois mois), ne dit mot mais n’en pense pas moins. Son ex-femme, vit isolée (mais avec une femme). Patrick, l'ainé, a fui les Etats-Unis, pour l'Asie, puis l'Europe, en quête de spiritualité. Au Tibet, et au Népal, devient moine bouddhiste (sic !) : « Son vrai problème, c'est qu'il est complètement paumé, un esprit désespérément surcoté qui se débat depuis quarante ans dans une vie de couple ratée face à un authentique génie, qui se trouve être aussi une insupportable psychotique à la limite de la folie et qui n'aurait jamais dû avoir d'enfants. »

Tous les problème de « riches » y sont (ou presque). Les causes d'une séparation, l'envie de procréer, la culpabilité parentale, le poids de l'inceste, le repli sur soi et le rejet de l'autre, l'identité raciale (peuple élu ou métissage…), la pulsion de mort. Autant de questions qui continuent d’agiter les méninges du petit monde humain. « Un monde nouveau », traduit par Stéphane Roques, multiplie les angles d’attaque et les thématiques, jusqu'à l’étourdissement. Il faut s’accrocher car le livre devient un personnage du roman. Lors de sa pseudo « retraite », Sandy commence à écrire un roman. Naomi, elle, couche ses pensées sur le papier. Le père de Zeno, lui aussi, pense écrire pour faire revivre une légende qui n'en était peut-être pas une. On l’aura compris, la vie est un roman. C’est écrit. Le livre devient le médium, le médiateur, l’intermédiaire entre le réel, l’imaginaire et le lecteur : « Oh, Sandy, nous lui crions, tel un chœur, pars tout de suite, et dissous le roman. Laisse-toi complètement écraser. Nous, les lecteurs ; nous, la première personne du pluriel. Nous devrions avoir notre mot à dire. »

Jess Row mêle une multiplicité de formes narratives, qui va de l'enregistrement de messages audios, à des échanges SMS, en passant par l’essai (pour un grand journal américain), ou un « poème-testament ». À travers ses personnages, il dresse la cartographie d'un monde éclaté et d'une Amérique en crise. De New York à la Cisjordanie en passant par l'Himalaya et Berlin, il déploie des sujets d'une actualité brûlante – l'identité raciale et religieuse, le conflit israélo-palestinien, la crise climatique, l'immigration – au moment où les repères du passé cèdent à la violence d'un présent sans lendemain.

« Un monde nouveau » est une œuvre de résistance courageuse, car elle porte sur la confusion et la perte de repères. C’est remarquable à notre époque on ne peut plus confuse et troublée. Seul message positif, d’espoir, suite au constat peu réjouissant : au fond, tout reste à (re)faire.

Un monde nouveau
Editions : Albin Michel ( Terres d'Amérique)
Auteur :  Jess Row
Traduit de l’américain par Stéphane Roques
608 pages 
Prix : 24, 90 €
Parution : 20 août 2025


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