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Acceso : violence, amour et pizza

  • Écrit par : Christian Kazandjian

métallosPar Christian Kazandjian - Lagrandeparade.fr/ Acceso donne la parole aux gamins victimes de violences sexuelles, au Chili, mais pas seulement. Dans les gares routières, en Amérique latine, des nuées de gamins proposent aux voyageurs toutes sortes de denrées et objets, utiles : boissons, empanadas, ou futiles la plupart du temps : peignes pour chauves, brosses pour chasser les mauvais esprits, etc. Ce sont des enfants de la rue, parfois sans plus d’attaches familiales, parfois obligés de travailler pour aider à la survie de la famille. Sandokan est l’un d’eux. Lui, cristallise tous les violences auxquelles sont soumis les enfants pauvres. Proie facile pour les prédateurs sexuels, en premier lieu les ecclésiastiques, il conte sa vie, si on peut appeler cela une vie, dans une logorrhée ponctuée de jurons et invectives, et seulement interrompue par un sanglot ou un trait de pizco sour, substitut passager à la cocaïne et autres drogues. Cloué à son siège, le spectateur est confronté à la dégradation physique et mentale d’un être que sa condition sociale rabaisse au rang d’objet sexuel. Dès lors comment s’étonner de la rage qui explose en injures, en contorsions d’un corps et d’une tête abîmés à jamais. Le texte du cinéaste Pablo Larrain et de l’acteur Roberto Arias est inouï. Au sens propre. On n’a rarement, au théâtre, été confronté à une telle verdeur ordurière, à pareille violence verbale et physique. On navigue dans une galaxie d’auteurs comme Guyotat, voire Sade (le spectacle affiche : « à partir de 18 ans » tant le propos peut choquer). Mais qu’est ce qui, en définitive, est le plus choquant : la parole brute, brutale d’un gamin dont on a volé l’enfance, ou le viol de cet enfant ? ; la crudité du propos ou la violence quotidienne imposée par des gens propres sur eux ? Alors oui, Sandokan refuse de dénoncer les violeurs. Ils lui ont procuré des vêtements, des baskets neuves, une pizza. Et même parfois de la volupté, que le gosse immature a pu prendre pour de l’amour. Car c’est bien d’amour dont ont besoin ces victimes. Et d’avoir accès, « acceso » à tous les bienfaits et droits des sociétés modernes. Le pauvre héros se fait appeler Sandokan, dit le « Tigre de Malaisie », justicier de roman et série télévisée qui combat la cruauté de l’envahisseur. Toutes les victimes d’abus ont besoin de justice. Malheureusement, trop souvent encore, nos sociétés ferment les yeux sur les agissements criminels d’individus que leur milieu protège. Acceso est d’une brûlante actualité à l’heure où la parole des victimes commence à être écoutée et entendue. Roberto Farias habite le personnage au-delà du possible. Il éructe, malaxe les mots, les tord, les maltraite, comme le corps et l’humanité de Sandokan ont été tordus et maltraités. La mise en scène joue habilement sur l’absence de décor, d’artifices habituels du théâtre. L’acteur serpente au milieu des spectateurs, les prend à témoin, les interroge. Car c’est bien toute la société qui est là interpelée. Cette société, nous, qui restons trop souvent indifférents ou timorés face aux violences faites aux plus faibles, aux plus pauvres. Acceso nous pique à vif. Et lorsqu’à la fin, Sandokan insulte les Français, c’est pour nous dire que le drame des enfants pauvres violés, exploités n’est pas circonscrit au Chili, sa terre, ni à l’Amérique latine, mais qu’il concerne l’ensemble des sociétés de la planète.

Acceso
RÉSISTANCE D’UN ENFANT DES RUES CHILIENNES
© Sergio Armstrong


Texte : Pablo Larraín et Roberto Farías

Mise en scène : Pablo Larraín

Jeu : Roberto Farías

Assistante à la mise en scène : Josefina Dagorret

Régie : Catalina Olea

Créateur lumière : Sergio Armstrong

Traduction : Tiphaine Caron, Nicole Mersey

Spectacle créé en avril 2014 au Teatro La Memoria, Santiago de Chile

Production déléguée : Sens Interdits, Festival International de Théâtre, en partenariat avec FITAM – Fundacíon Teatro a Mil, Chile

Avec le soutien de l’ONDA - Office National de Diffusion Artistique 

Dates et lieux des représentations: 

- Jusqu’au 11 novembre 2018 à La maison des métallos (01.47.00.25.20) Paris 11e


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