J’ai besoin d’air. C’est pour ça que je fume : Renaître après l’inceste
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ J’ai besoin d’air. C’est pour ça que je fume traite, avec délicatesse, un thème douloureux trop souvent occulté.
Elisabeth, dite Babette a cinq ans. Dans la maison du grand-père où elle passe des vacances en famille, elle se livre à ce qu’elle préfère : les jeux de garçon, qui, souvent la conduisent à de petites visites à l’hôpital. Babette est adolescente, puis adulte. Elle brûle sa vie en excès : sexe débridé, alcools, drogues, au grand dam de sa sainte de mère, confite en catholicisme et gardienne d’un parler français correct. Chaque épisode de l’existence de Babette est sacralisé par une photo réunissant tous les membres de cette maisonnée aristocratique, pieuse et traditionnelle. Et, pour Babette, il y a cette chambre bleue, isolée du reste de la maison, abritant un capharnaüm, où elle se réfugie avec un cousin, plus âgé, pour d’autres ébats que le football et les cabanes dans les arbres. Un jour, alors qu’elle a dépassé la vingtaine, cette chambre bleue, son cousin, resurgissent dans sa conscience. Les « jeux », qu’enfant elle avait cru naturels, sinon innocents, se révèlent être des attouchements, des viols, subis de l’âge de cinq ans à l’adolescence. Suit, comme très souvent, dans les cas de violences sexuelles, un refoulement évacuant une douleur latente qui, un jour, ressurgit. Elle entreprend, alors, soutenue par une partie des siens, contre l’avis de l’autre, les démarches policières, puis judiciaires qui conduiront, après un marathon de plusieurs années, hérissé de désillusions, de rancœurs conduisant à l’éclatement de la famille, à l’établissement de la vérité et à la condamnation du coupable. Cette pénible traversée fera renaître d’autres sombres secrets que la morale condamne, mais occulte, notamment dans le cercle réduit des parents et des amis et connaissances proches, tandis que la parole de l’enfant, de la femme, est systématiquement, dans un premier temps, mis en doute. On sait, qu’aujourd’hui, plus de 80% des plaintes sont classées sans suite et que les procès font quasi exception.
Le courage de dire
C’est cette histoire que raconte Clémence de Vimal, auteure de J’ai besoin d’air. C’est pour ça que je fume, qu’elle joue, seule en scène. Le thème de l’inceste, qui la tient à cœur, commence à poindre dans nos sociétés, avec son cortège de non-dits, d’interprétations parfois insidieuses. Comme celui du viol, qui sévit, également et très majoritairement dans les mêmes milieux proches. Il fallait, une délicatesse, empreinte d’humour et d’empathie, pour évoquer un sujet aussi lourd et douloureux. La comédienne-auteure régale dans ce registre, dans une interprétation d’une douzaine de personnages caricaturaux, qu’elle aime, et traite, donc, sans excès : une moue, un léger changement de ton, et c’est tout. On rit, puis on a la gorge serrée au récit glaçant d’une chaîne de délits ayant touché les ainées qui, comme Elisabeth, au début, ont choisi de se taire, par loyauté, croyaient-elles. Il aura fallu le courage d’une des plus jeunes, pour qu’enfin, la parole se libère. Clémence de Vimal évolue dans un décor épuré : un siège, un cadre évoquant les séances traditionnelles de photo de famille, mais, ici, brisé, bancal, comme la vie de la gamine. D’une malle, elle retire les objets surdimensionnés la renvoyant au passé ; comme elle le fait des vêtements, dont elle se dépouille au fur et à mesure que la conscience du drame qu’elle a vécu se précise. Une belle réussite, tendre et délicate pour un thème des plus difficiles à exposer.
J’ai besoin d’air. C’est pour ça que je fume
De et par : Clémence de Vimal
Scénographie : Agnès de Palmaert
Dramaturgie : Aurore Jacob
Dates et lieux des représentations :
- Jusqu’au 2 janvier 2026 au Théâtre La Croisée des chemins, Paris 19e (01.42.19.93.63.), Les jeudis et vendredis, 19h.






