Mai 68 La Belle Ouvrage : Jean-Luc Magneron et son coup de poing
- Écrit par : Valérie Fettu
Par Valérie Fettu - Lagrandeparade.fr/ Qui est trop jeune pour avoir connu ou même entendu parler de Mai 68 ne peut imaginer ce qu'il découvrira dans le documentaire de Jean-Luc Magneron. Cinquante ans ont passé sur une répression que l'on a peine à imaginer possible sur notre territoire. On comprend mieux comment est né le slogan « CRS-SS ». On comprend aussi pour quelles raisons le film est resté inédit jusqu'à présent, malgré sa sélection à la première quinzaine des réalisateurs de Cannes en 1969.
C'était en mai 1968 et en France, vingt ans après la seconde guerre mondiale. Jean-Luc Magneron livre un documentaire qui s'apparente par ses plans-séquences, les points de vue de sa caméra, à un véritable reportage de guerre, entre les plongées au coeur des charges policières, les interviewes de blessés, qui pleurent sous l'effet des gaz, aux lunettes noires protégeant des yeux atteints de cécité, s'exprimant difficilement sur un lit d'hôpital, et les témoignages d'étudiants, de passants, de journalistes.
Le documentaire n'est pas sans rappeler les images que nous livrent en ce moment certains grands reporters de guerre. Cela se passe en d'autres lieux et le monde s'indigne. Mais ici pas de voix off pour commenter, le spectateur est laissé à sa propre interprétation, ou presque, de la brutalité des images.
Le ton est donné dès l'ouverture, le documentaire sera anti-gaulliste ou ne sera pas !
Les premières images sautent, ont du mal à se stabiliser, zèbrent la silhouette vacillante du général De Gaulle qui peine à se stabiliser dans le petit écran noir et blanc de 68. Sursauts d'une image que l'on pourrait lire comme une métaphore de ces événements qui ont fait trembler le pouvoir, l'ordre, la société en mai 68. Le général De Gaulle parle gravement dans le petit poste en noir et blanc, annonce le retour à l'ordre, loue l'efficacité des services de police. Le retour à l'ordre ? Comment, à quel prix ? C'est tout l'enjeu du film de Jean-Luc Magneron. Les deux heures de ce document seront un long réquisitoire contre cette répression bien plus que musclée, « sauvage » comme l'affirmeront de nombreux témoins qui racontent l'usage des lance-grenades transformés en fusils, les matraquages à l'aveugle dans les rues, ceux plus subtils dans le commissariat du 4ème arrondissement, les jeux sauvages de certains policiers, les conditions de détentions, les passages à tabac, le "jeu de la bouteille saoule" . Un étudiant en Droit s'étonne, stupéfait, que vingt ans à peine séparent ces actes policiers de ceux des nazis.
Autant de plans-séquences que de témoins, tous unanimes, usant des mêmes mots, racontant les mêmes scènes, avec pudeur, souvent avec une légère ironie qui masque autant qu'elle souligne la brutalités qu'ils ont subies, qu'ils ont vues. Du simple badaud pris dans la tourmente d'une charge, à l'étudiant du service d'ordre ou d'évacuation des blessés, tous restent bien en deçà de leur émotion, comme incapables de dire ce qu'ils ont vécu, préférant parler de leurs camarades. Un peu comme les victimes libérés des camps dont la parole n'a pu se libérer immédiatement. Le souvenir de ces derniers est là, dans la conscience collective de cette société de 68, se rappelle dans le camp d'internement de Beaujon, entouré de barbelés, où les manifestants sont gardés à vue pour quelques heures ou bien plus.
Tous racontent la peur, les coups, et l'iniquité des arrestations qui ne distinguaient pas le simple passant du réel manifestant. Ce que nous disent ces témoignagnes ruine le discours inaugural du documentaire. Ils éclairent d'un tout autre regard l'autorité exercée par ceux qui auraient dû encadrer les forces de police, démentant les propos lénifiants du président de la République, montrant comment la violence policère a engendré celle des manisfestants.
Le film est aussi, au fur et à mesure des témoignages et des images d'archives, la démonstration de la montée de la violence, de son engrenage engendrée par charges et de la répression toujours plus brutale des forces de l'ordre, tous corps confondus.
A voir, absolument !
MAI 68, LA BELLE OUVRAGE
Un film documentaire de Jean-Luc Magneron
117 minutes – DCP/ HD – 5.1 – Noir et blanc – France – VF – 1968
En salles : 25 avril 2018