Xavier Gorce : " A force de chercher l'anguille sous la roche des mots, on décèle les postures et les impostures de plus en plus rapidement."
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.com/ Dessinateur et illustrateur indépendant depuis 1986, Xavier Gorce collabore quotidiennement au site du Monde, Lemonde.fr depuis 2002.
Ses Indégivrables, série de dessins humoristiques mettant en scène des manchots, traitent de l'actualité au sens large. Vient de paraître aux Editions Buchet.Chastel un nouveau recueil d’élucubrations sphénisciformes autour de l'un de ses thèmes de prédilection: l’écologie…Et quoi de plus percutant pour en causer que des oiseaux endémiques de l’Antarctique?
[bt_quote style="default" width="0"]Est-ce que ce que l'on a à dire est pertinent, impertinent? Est-ce que l'idée exprimée soulève une question qui gratte ou est-ce la énième déclinaison d'une idée militante, bienveillante, moralisatrice déjà vue et revue qui fait plaisir au lecteur convaincu et satisfait à la paresse et au confort du dessinateur dans l'entre-soi idéologique qu'il entretient avec ses lecteurs ?[/bt_quote]
Xavier Gorce en fait des porte-paroles délicieusement givrés, à la désinvolture désopilante, l’inconséquence ahurissante et au flegme déroutant. Chaque matin, ces manchots incorrigibles qui relativisent tout et adoptent des postures stoïques face à l'absurdité des situations qui les cernent de tous les bords de l'iceberg, s'avèrent une parenthèse revigorante et un peu de soleil dans l’eau froide de l'info.
Connus pour leur adaptation physiologique impressionnante aux rigueurs du climat, les manchots de Xavier Gorce s’adaptent très bien aussi à toutes les catastrophes survenues et à venir. Et…l’on a d’ailleurs eu la curiosité d’aller jeter un coup d’oeil sur le comportement social de ces jaboteurs vivant en colonies…on les imagine souvent regroupés les uns contre les autres pour faire face au froid et les observations de scientifiques ont montré qu’il existait des roulements qui ne laissaient jamais les mêmes au contact du blizzard….Sont-ils pour cela d'une solidarité exemplaire? Les spécialistes du comportement animal n’y voient pas une attitude d’empathie généralisée mais expliquent plutôt que les manchots à la périphérie qui font face au vent finissent par contourner la "tortue" formée et se positionnent derrière le groupe….Une stratégie « individu-centré ». Les bêtes palmées de Xavier Gorce cultivent, à l’instar de l’humanité qu’ils symbolisent, un égocentrisme décomplexé, une compassion de surface limitée et une franchise jubilatoire!
Chaud Devant - Les Indégivrables de Xavier Gorce? Un concentré exquis de dérision ! Trouvez-vous un coin confortable sur la banquise qui n'ait pas encore fondu et lisez-le…ça limitera votre impact carbone l'espace de quelques heures, ça ne sauvera pas la planête, certes, mais ça aura ragaillardi vos zygomatiques à coup sûr!
On conclut avec une citation de Michel Laubu de la compagnie de marionnettistes Turak : "Un pingouin c'est un ange qu'on a oublié un peu trop longtemps au frigo." Il fait l'intermédiaire comme il peut...C'est pas sa faute s'il est givré!
On a dû vous poser la question un nombre incalculable de fois mais...quelle a été la genèse de ces « indégivrables »? Comment vous est venue l'idée de dériver avec ces bêtes givrées sur la banquise?
J'ai commencé ma collaboration quotidienne pour lemonde.fr en 2002 avec des strips animaliers pour leur newsletter matinale. La rédaction voulait des dessins décalés, purement humoristiques, ni politiques ni trop proche de l'actualité. Je leur ai donc proposé une série dont les personnages étaient uniquement des animaux, ce qui me permettait, un peu à la manière de La Fontaine, de faire de la satire sociale à distance. Mais au bout d'un moment j'ai trouvé ce biais trop limité et j'ai fini par me concentrer sur les manchots qui offraient plusieurs avantages : une silhouette très humaine, un comportement grégaire, un paysage dénudé qui accentue l'absurdité du sens de la vie et, en arrière-plan, les questions d'écologie et de réchauffement climatique. Sans oublier un aspect pratique : l'épure graphique qui permet de se concentrer sur le propos. Ils étaient si parfaitement adaptés à ce que je voulais raconter que, depuis 2005, je ne les ai plus quitté. Ou l'inverse !
[bt_quote style="default" width="0"]J'ai commencé ma collaboration quotidienne pour lemonde.fr en 2002 avec des strips animaliers pour leur newsletter matinale. La rédaction voulait des dessins décalés, purement humoristiques, ni politiques ni trop proche de l'actualité. Je leur ai donc proposé une série dont les personnages étaient uniquement des animaux, ce qui me permettait, un peu à la manière de La Fontaine, de faire de la satire sociale à distance. Mais au bout d'un moment j'ai trouvé ce biais trop limité et j'ai fini par me concentrer sur les manchots qui offraient plusieurs avantages : une silhouette très humaine, un comportement grégaire, un paysage dénudé qui accentue l'absurdité du sens de la vie et, en arrière-plan, les questions d'écologie et de réchauffement climatique.[/bt_quote]
Ce franc-parler, cette attitude de désinvolture totale, c'est ce qui les rend follement drôles et attachantes...Depuis que vous les fréquentez, développez-vous une faculté incorrigible à décrypter le sous-discours de vos congénères et hommes politiques de tous becs?
En faisant du sport régulièrement, on développe son souffle, ses muscles... L'humour, c'est pareil : à force de chercher l'anguille sous la roche des mots, on décèle les postures et les impostures de plus en plus rapidement. Particulièrement dans les propos qui flattent celui qui les écoute.
Ces manchots sont irresponsables, opportunistes, désinvoltes à l'excès...pourtant on n'arrive presque pas à leur en vouloir...Portez-vous le même regard bienveillant sur vos compatriotes?
Ils sont moins mignons, ça n'encourage pas à la mansuétude. Disons que pour trouver de l'humanité dans l'homme il faut faire parfois un peu plus d'efforts que pour les animaux. Mais c'est un biais. En fait, l'homme comme l'animal obéit à quelques instincts et principes basiques : instinct de survie et de reproduction, recherche d'affection, de préservation, de confort et de plaisir... et besoin d'amour. La seule différence c'est la complexité des stratégies qu'il doit mettre en œuvre pour les obtenir.
On se demandait....Est-ce que les attentats de 2015 ont changé votre perception de votre rôle et de votre pouvoir de dessinateur? Appuyer là où ça fait mal...réalisiez-vous avant que ça pouvait générer des réactions aussi violentes de « couilles molles »?
Non, comme beaucoup. Qui aurait pu imaginer une telle barbarie à l'œuvre dans notre pays où la liberté de dessiner était actée depuis des décennies... Certains ont vu où était le danger : il y avait des signes, comme la fatwa contre Rushdie, les dessins de Mahomet etc. L'islamisme radical et politique, comme toutes les philosophies absolutistes qui mélangent le politique et le religieux, qui défient un sacré dont on n'a pas le droit de rire ni de critiquer est un fascisme qui ne peut que déboucher sur la violence.
Vous sentez-vous libre de vous exprimer aujourd'hui ou déplorez-vous, comme certains, un lissage des opinions, une aseptisation de tout? Vous arrive-t-il souvent de vous auto-censurer? Estimez-vous dans ces cas-là que c'est justifié ou ravalez-vous votre frustration?
Oui je me sens parfaitement libre, malgré les pressions qui ne viennent pas des pouvoirs ni politiques, hiérarchiques, économiques ou religieux mais des réseaux sociaux sur lesquels des activistes tentent de faire pression par des campagnes de bashing, d'insultes. Il faut juste s'en foutre et laisser les haineux à leur place : dans leur fange.
Dans Chaud Devant vous avez recueilli nombre de vos dessins traitant de l'écologie, une de vos thématiques de prédilection...Honnêtement, quel genre d'écolo êtes-vous dans la vie de tous les jours?
Un écolo modeste : je fais attention à ce que j'achète, j'ai réduit ma consommation de viande de bœuf, je trie soigneusement et consciencieusement, j'essaye d'éviter de rouler en bagnole quand j'ai une alternative raisonnable. Mais je ne crois pas que les comportement individuels vertueux permettront à eux seuls d'infléchir sensiblement le réchauffement. Idem pour les politiques à l'échelle nationale.
« Tirer un trait...et voilà...un nouvel horizon. » Xavier Gorce est-il profondément pessimiste vis à vis du monde de demain? Comment expliquez-vous que nous agissions comme des sociopathes, insensibles à ce qui se joue pour nous et pour les autres? Votre travail de dessinateur sur les thèmes environnementaux vous a-t-il donné envie de creuser la question du pourquoi cette inertie humaine? Du côté de la psychologie? de l'anthropologie?
Ce n'est pas une inertie, c'est pire : on continue à faire la course pour ne pas être largué en sachant qu'elle nous mène vers le bout de la falaise. Comme des lemmings... ou comme la course des dégonflés dans La Fureur de vivre. Oui, c'est dans la psychologie que se trouvent des explications, mais aussi dans les mécanismes du (dés)ordre mondial et la science. Les solutions se situent à 3 plans : la psychologie – individuelle et collective –, des règles internationales qui encadrent le libéralisme, développement des innovations techniques et scientifiques. Sur chacun des plans, rien de simple et aucun ne peut fonctionner seul.
[bt_quote style="default" width="0"]Ce n'est pas une inertie, c'est pire : on continue à faire la course pour ne pas être largué en sachant qu'elle nous mène vers le bout de la falaise. Comme des lemmings... ou comme la course des dégonflés dans La Fureur de vivre.[/bt_quote]
Comment travailliez-vous au quotidien? Vous vous plongez dans les infos et vous cherchez un élément déclencheur d'inspiration? Un mot prononcé? Une image? Quel média provoque mieux l'idée chez Xavier Gorce?
Il n'y a malheureusement pas de recette, mais globalement je m'imprègne de pas mal d'infos durant la journée et je fais de l'alchimie avec tout ça le soir. l'idée peut surgir, ou au contraire il faut aller la chercher avec les dents. Tous les médias sont bons. Comme pour l'alimentation, il faut une nourriture variée pour qu'elle soit équilibrée.
[bt_quote style="default" width="0"]Globalement je m'imprègne de pas mal d'infos durant la journée et je fais de l'alchimie avec tout ça le soir. l'idée peut surgir, ou au contraire il faut aller la chercher avec les dents. Tous les médias sont bons. Comme pour l'alimentation, il faut une nourriture variée pour qu'elle soit équilibrée.[/bt_quote]
Si vous deviez définir ce qui fait l'essence d'un dessinateur de presse de qualité, vous diriez? Un dessin simple, un texte percutant et court?
Simple, percutant, court, c'est un peu le style. C'est ce que j'aime pour moi, le style que j'ai petit à petit mis au point et dans lequel je me sens à l'aise. Mais on peut chercher et trouver la qualité par d'autres approches, plus riche graphiquement, uniquement visuel, ou très bavard, ce que j'aime moins :). Mais le mot important pour moi, c'est « juste » : le trait doit être juste, l'idée doit être juste, le mot doit être juste.
[bt_quote style="default" width="0"]Le mot important pour moi, c'est « juste » : le trait doit être juste, l'idée doit être juste, le mot doit être juste.[/bt_quote]
« Une dictature verte » avec « matraques recyclables »...Comme avec les Gilets Jaunes, vis à vis desquels certains vous ont reproché vos représentations jugées trop excessives et caricaturales, vous évoquez avec ce dessin une menace...est-ce vraiment sur le ton de la plaisanterie? Ou Xavier Gorce se bat-il avec palmes et crayon à papier contre toutes les idéologies qui veulent s'ériger en moratoires?
je vous ressers le mot « Juste » : Est-ce que ce que l'on a à dire est pertinent, impertinent, est-ce que l'idée exprimée soulève une question qui gratte ou est-ce la énième déclinaison d'une idée militante, bienveillante, moralisatrice déjà vue et revue qui fait plaisir au lecteur convaincu et satisfait à la paresse et au confort du dessinateur dans l'entre-soi idéologique qu'il entretient avec ses lecteurs ?
Les Indégivrables - Chaud devant!
Editions : Buchet.CHastel
Auteur : Xavier Gorce
Date de parution : 03/10/2019
128 pages.rix : 19,00 EUR
ISBN 978-2-283-03329-6
Le blog Les Indégivrables: https://www.lemonde.fr/blog/xaviergorce/
La page Facebook Les Indégivrables : https://www.facebook.com/LesIndegivrables/
Xavier Gorce sur Twitter : https://twitter.com/XavierGorce