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Molly S : un monde de sensations pures

  • Écrit par : Christian Kazandjian

molly sPar Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Quand un sens, la vue, convoque tous les sens dans la quête d’identité. Molly S. nous guide vers la liberté d’être soi.

Molly S. est aveugle depuis le berceau. Elle a quarante-deux ans. Quarante-deux années à vivre dans un gris profond : à peine distingue-t-elle quelques vagues formes, un léger brouillard. Elle vit avec cela et s’en accommode : n’a-t-elle pas appris à reconnaître les objets, les fleurs, les arbres, les hommes, grâce au toucher, à l’odorat et l’ouïe, autant de sens exacerbés par l’absence de vue. Son époux décide pour elle de la confier à un chirurgien ophtalmologue. Une opération à un œil puis à l’autre, et Molly voit l’époux et découvre le monde qui les entoure. Le docteur Rice et l’époux, fiers de leur décision, apprennent à Molly à s’approprier un monde nouveau, sans se soucier vraiment de ses sentiments. Elle rejettera finalement cette nouvelle vie pour se réfugier dans les souvenirs de l’enfance, puis de l’âge adulte, période où elle reconnaissait un arbre, une fleur à la rudesse de l’écorce, au velouté de la feuille, au parfum : les hommes mêmes étaient de simples arbres. Elle peut alors évoquer, comme dans la chanson Souvent dans la nuit calme, « la nuit calme où le sommeil (l)’immobilise », où « de tendres souvenirs (lui) apporte la lumière d’autres journées » quelle « a vécues », souvenirs qui se font « tristes » quand les « cœurs joyeux » sont « à présent éteints ». Retour au passé, à l’enfance, pour ne plus avoir à voir une réalité devenue difficilement compréhensible et supportable. En tirant le rideau sur le monde visible, Molly retrouve la liberté d’être à nouveau elle-même. On ne fait pas le bonheur des êtres sans leur consentement et leur engagement.

La nuit protectrice
La comédienne et metteure en scène, Julie Brochen, préférant au monologue le chœur, s’est adjoint deux comédiens-chanteurs lyriques (Olivier Dumait et Ronan Nédélec), plus un pianiste (Nikola Takov) pour accompagner Molly qu’elle joue avec une belle retenue. Et pourquoi engager des artistes lyriques, si ce n’est pour donner à la musique une place de premier choix, musique que l’ouïe de l’aveugle capte avec une acuité que ne possèdent pas ceux qui voient. La lumière noire ajoute à l’atmosphère qui étreint Molly et la protège dans sa cécité. Quant au décor, quelques chaises, un piano qui peut faire office de bar, il restitue le monde obscur où évolue avec aisance l’aveugle. Puis, alignées, ces chaises, des bouteilles parsemées dans l’espace, constituent autant d’obstacles à surmonter, de frontières à transgresser pour qui est privé de la vue. Les bouteilles qu’un panache de papier transforme en arbre redeviennent le jardin enchanté de l’enfance, du temps où les hommes n’étaient finalement que des arbres qui marchent. Les « songs » de Benjamin Britten, Thomas Moore, Beethoven, le piano, permettent de plonger le spectateur dans l’univers sonore de l’aveugle, celui qui, de fait, entoure le nourrisson que chacun fut. Une heure de pur bonheur pour l’œil et l’oreille.

Molly S.
De Brian Friel
Mise en scène : Julie Brochen
Avec Julie Brochen, Olivier Dumait, Ronan Nédélec, Nikola Takov

Dates et lieux des représentations: 
- Jusqu’au 30 novembre 2019 au Théâtre Déjazet, Paris 3e (01.48.87.52.55.)


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