Par Sylvie Gagnère - Lagrandeparade.com/ Sur la planète Victoria vivent deux communautés d’origine terrienne : l’une issue de deux vaisseaux de criminels, l’autre d’exilés politiques. Les premiers, habitants de la Cité, ont apporté avec eux leur violence et leur soif de pouvoir, instaurant un régime autoritaire.

Les seconds, installés dans la Zone, n’ont rien oublié des idéaux pacifistes et non-violents de leurs ancêtres. Le « Peuple de la Paix » se sent un peu à l’étroit et veut s’établir dans une nouvelle vallée, loin de la Ville, qui les oblige à partager leurs ressources sans réel retour. La Cité ne l’entend pas de cette oreille : elle a besoin d’eux pour le travail agricole, et il n’est pas question de les laisser prendre leur indépendance ! Lorsqu’une délégation de la Zone se rend à la Cité pour négocier posément l’émigration d’un groupe de colons, elle n’a droit qu’à une fin de non-recevoir.

Les Zonards, fidèles à leurs idéaux, refusent de recourir à la violence et sont convaincus que la résistance passive et la désobéissance civile les mèneront à la victoire. La Cité montre les poings et fourbis ses armes, la situation est bloquée et menace de dégénérer. La jeune Luz, fille du chef de la Cité, rencontre une habitante de la Zone, retenue prisonnière chez son père. Elle découvre une autre manière de vivre, peut-être un espoir ? Spectatrice des combats entre les deux camps, elle se mue en actrice et tente de trouver une voie différente ...

Ursula K. Le Guin parvient, dans ce court roman, à brosser un univers cohérent et particulièrement intéressant. Les deux peuples sont diamétralement opposés dans leurs valeurs, leurs conceptions du monde, chacun imaginant créer sur cette planète une nouvelle civilisation, débarrassée des défauts de l’ancienne – mais ce ne sont pas les mêmes pour tous !

L’autrice pousse loin la réflexion sur la non-violence, ses bienfaits et ses limites. Ce n’est pas un chemin facile, il est semé d’obstacles et conduit à des dilemmes difficiles à résoudre. Peut-il réellement faire le poids face à un gouvernement brutal et sans scrupules ? Jusqu’où ses partisans sont-ils prêts à aller pour rester fidèles à ses idéaux ?

L’autre importante question abordée dans cet ouvrage, c’est la place de la femme. Dans la Cité, elle est totalement soumise par un régime patriarcal ; dans la Zone, elle est complètement autonome et libre. Luz bâtit un pont entre les deux sociétés, entre pacifisme et violence, une voie où elle peut s’émanciper, comme elle le désire.

L’une des grandes forces du roman réside justement dans ce personnage, qui s’affranchit peu à peu de son éducation, du carcan qu’on lui a inculqué, sans tomber pour autant dans une admiration aveugle. Elle cherche son propre chemin, son sentier de liberté à elle.

Ursula K. Le Guin interroge une nouvelle fois les questions du genre, du féminisme, de l’altérité, des constructions sociales, avec cette plume poétique et fluide qui impressionne. Elle mêle avec brio la politique, la sociologie, et l’exploration de l’âme humaine.

L’œil du héron 
Autrice : Ursula K. Le Guin
Éditions : ActuSF
Collection : Hélios
Date de sortie : 22 mai 2025
Prix : 9,90 €