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Le bonheur de vivre de « Janké » : un souffle d’intelligence et d’humour qui fait du bien

  • Écrit par : Guillaume Chérel

La viePar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ Bruno Abraham-Kremer livre un formidable hommage à la fois à sa mère, qui fut l’élève de Vladimir Jankélévitch (dit « Janké », comme l’appelaient ses étudiants), et à « Janké » lui-même. Même si vous n’êtes pas féru de philosophie, Jankélévitch, vous savez c’est ce philosophe au phrasé à la Lacans ! « La vie est une géniale improvisation » nous ramène avec passion à ces années de grande audace intellectuelle.

Or donc, Bruno Abraham-Kremer réussit le tour de force de tenir en haleine une salle entière en disant simplement des lettres échangées entre deux amis. Mais quelles lettres ! Durant soixante-ans, Vladimir Jankélévitch (né en 1903) écrivit régulièrement à son ami Louis Beauduc, qui termina deuxième, après lui, au concours de philosophie de Normale Sup. Ils avaient 20 ans… en 1923. Loin de lui en tenir rigueur, ce « vieux » Beauduc, comme l’appelle « Janké » demeurera son ami fidèle alors qu’il est devenu, lui, un simple prof de philo dans un lycée du centre de la France (à Limoges).
Quel plaisir de revivre tout le XXe siècle, à travers le prisme d’une amitié entre deux intellectuels ! Les deux amis se chamaillent gentiment sur leurs convictions philosophiques. Les années passent et bientôt leurs tracasseries se font beaucoup plus sérieuses : la montée du fascisme, la guerre, la Shoah, la libération, mai 68, les premiers ordinateurs (en 1975)… Ecouter la correspondance de Vladimir Jankélévitch, c’est non seulement plonger dans l’intimité d’un grand penseur mais de son monde intérieur. On comprend comment et pourquoi son humour et sa simplicité fascinaient tant les étudiants qui suivaient ses cours avec assiduité. Trente ans après sa mort, on admire encore le pragmatisme de ce philosophe musicologue, bien avant Stéphane Hessel et son « Indignez-vous », mais après Victor Hugo, il est vrai, pour qui « Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent ». Janké n’aura de cesse de mettre en pratique ses paroles : « Seul compte l’exemple que le philosophe donne par sa vie et dans ses actes » écrit-il. Oui, Jankélévitch  était bien ce grand philosophe, musicien, professeur de Morale, recherchant toute sa vie « l’accord  parfait » entre ses idées et ses actes.
Tout au long de ce spectacle drôle, subtil et intelligent, Bruno Abraham-Kremer confirme qu’il est un acteur avec une grande présence. Sa voix grave de stentor porte loin et fort et sa mise en scène est en harmonie parfaite avec le message. C’est émouvant de le voir parler à une chaise vide qui représente l’ami Beauduc finalement disparu avant « Janké » qui a survécu à la guerre, bien qu’il fut juif et résistant dans la région de Toulouse ; sans en faire la réclame.
Voilà un spectacle revigorant car faisant l’apologie de l’amitié, comme dans un récit de Panaït Istrati, cet écrivain roumain de langue française best-seller à cette époque ; et surtout parce qu’il réveille les consciences assoupies : oui il faut se réveiller, rester sans cesse vigilant, et dire non aux extrémismes. Lui qui plaçait au plus haut la culture allemande avait rompu avec l’allemagne après la seconde guerre mondiale, concluant à l’impossibilité du pardon devant les crimes de la Shoah. Jusqu’à ce qu’un jeune allemand, Wiard Raveling, lui écrive pour demander pardon au nom de son peuple. Il ira jusqu’à l’inviter chez lui, à Paris. Vladimir Jankélévitch restait donc optimiste malgré sa lucidité, sa clairvoyance. Il est urgent de continuer à l’écouter. Comme le rappelle Bruno Abraham-Kremer : « Avec Vladimir Jankélévitch, je retrouve ce que j’aime passionnément dans l’être humain, une adéquation parfaite entre les idées et les actes, une pensée en mouvement, une vitalité, un humour, une liberté de penser le monde sans préjugés, refusant toutes les chapelles intellectuelles de son temps. Un appel à notre intelligence, une invitation à devenir « l’acteur » de notre vie, à ne jamais désespérer de l’homme. »

Vladimir Jankélévitch : la vie est une géniale improvisation, d’après sa correspondance réunie par Françoise Schwab aux éditions Liana Levi.
Mise en scène et adaptation de Bruno Abraham-Kremer et Corine Juresco
Avec Bruno Abraham-Kremer

Vu en décembre 2016 au Lucernaire ( 53, rue Notre-Dame-des-Champs – 75006 Paris)

 

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