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Astrid Manfredi : La petite barbare, un premier roman maîtrisé

  • Écrit par : Guillaume Chérel

ManfrediPar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ A quoi reconnaît-on un bon écrivain ? A son style quasiment inimitable. Et le style, c’est la femme…pour paraphraser Buffon. Car en l’occurrence ici, c’est la voix singulière d’une écrivaine qu’on entend, et pas d’une « bouffonne », histoire de coller au sujet du livre, vous comprendrez plus loin. Astrid Manfredi est l’auteur(e) d’un premier roman maîtrisé comme rarement, « La petite barbare », inspiré d’un fait-divers horrible (la torture et le meurtre du jeune Ilan Halimi par le dénommé « gang des barbares »). Un roman maîtrisé, donc, parce que tous les mots semblent à leur place. Pas une phrase n’est de trop. Un peu comme une œuvre d’art sculptée, ou un bijou serti comme il faut. A la fois sobrement et merveilleusement. La magie opère. L’alchimie des mots fonctionne. Ça avance. Ça ne tourne pas en rond, comme tant de petits romans franchouillards, vite lus, vite oubliés.
Astrid Manfredi a choisi de donner sa voix à celle qui avait attiré le pigeon, le « bourgeois », comme elle l’appelle, dans le piège tendu par le gang… de « La petite barbare », du coup. Et son talent est tel qu’elle la rend presque sympathique, on la sent en empathie cette pauvre jeune-fille sans prénom, mais déjà en prison à vingt ans passés, et qui fait rire des codétenues. Une « sauvageonne » sans père (absent) ni repère. Née en banlieue au milieu d’une « meute de loups sans forêt. Ensemble, sans personne à mordre ». Mais ça, c’était lorsqu’elle était enfant. La chevelure de sa mère l’attendrissait encore…ça s’est dégradé en grandissant, en prenant des formes. Elle a trop regardé la télé. Elle aussi veut consommer, boire du champagne et s’habiller classe. Puisqu’elle attire les hommes, elle sera la sexy-girl de la bande. Une sorte de Loana-Zaya-Nabilla, starlettes du pauvre… Et le piège se referme, pour la proie, mais aussi pour les apprentis loups devenus victimes de la société.
La forme est bonne. C’est entendu. C’est un bon roman, bien écrit, avec des tripes et les justes mots des quartiers, sans en abuser. Mais le lecteur peut aussi s’interroger sur le fond. On peut légitimement se demander pourquoi, alors que l’auteure reste proche des deux principaux personnages du « vrai » fait-divers macabre (Youssouf Fofana, le chef de bande black se disait antisémite, et Emma, la nymphette sexy qui a servi d’appât, a continué à séduire ses geôliers), elle omet de rappeler que la « vraie » victime était juive, et qu’on l’a choisi, lui, parce que « les juifs ont de l’argent ». Le sujet (quartiers sensibles, ghettoïsation, injustice sociale…barbarie) n’étant pas anodin, pourquoi ne pas aller au bout des choses - comme le fit dans son roman-enquête, Morgan Sportes (« Tout, tout de suite », Fayard 2011) - et éviter d’évoquer le communautarisme et l’antisémitisme, voire l’islamisme, à peine survolé ? Astrid Manfredi ne prend pas parti, soit. Mais comme le lecteur, par sa vision ou compréhension des choses, achève d’écrire un livre, nous nous permettons de poser la question…

La petite barbare d’Astrid Manfredi (Belfond, 154 p, 15 euros).

 

 

 


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