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Exposition Chris Marker : un parcours simple et éclairant sur une des oeuvres les plus fertiles des XX et XXIème siècles

  • Écrit par : Odette Martinez Maler

chris marker Par Odette Martinez Maler - Lagrandeparade.fr/ L’exposition Chris Marker, visitable jusqu’au 29 juillet 2018 à la Cinémathèque de Paris, retrace l’itinéraire d’une vie de création et de combats intellectuels autant que politiques. Conçue à partir de l’archive Marker déposée dans cette institution patrimoniale, elle a le grand mérite de nous proposer un parcours simple et éclairant à travers l’une des œuvres les plus fertiles et les plus touffues des XXème et XXI siècles.

Parcours simple puisque la scénographie de l’exposition illustre, de façon chronologique, les étapes d’une recherche artistique qui fait feu de tout bois, à travers des langages multiples : la poésie, l’essai, la photographie, les revues, le photo-roman, le cinéma de fiction, l’écriture documentaire, la caméra directe et les ciné-tracts des années 68 -70, les CD-Rom et les installations multimédias.
Parcours éclairant puisque la présentation des œuvres dégage par- delà la diversité des formes et des supports, quelques grandes lignes de force qui guident efficacement le visiteur.
La scénographie de l’exposition met d’abord en lumière le regard aigu de Chris Marker sur les convulsions de l’histoire, sa pleine présence aux êtres et la générosité de ses engagements à l’échelle internationale. Elle nous livre les traces de ses voyages incessants à travers le temps et l’espace et, tout à la fois, la mise en œuvre de ces archives dans des réalisations de toutes sortes : les films bien sûr depuis Les Statues meurent aussi réalisé en 1953 avec Alain Resnais (censuré pendant 11 ans et projeté ici) jusqu’à Le fond de l’air est rouge ( finalisé en 1977 puis remonté en 1996) ou encore Sans soleil (1982) mais aussi les articles de la revue Esprit ou la conception éditoriale de la revue Petite planète que Marker fonde et dirige au Seuil en 1954. La scénographie de l’exposition souligne comment ces écritures multi-média de Chris Marker construisent progressivement une mémoire du monde. Californie, Japon, Islande, Guinée Bissau, Sibérie, Chine, Amérique latine, luttes d’indépendance anticoloniales, révolutions, mouvements sociaux : les traversées de tous ces espaces et de tous ces moments d’histoire par ce génial globe-trotter constituent peu à peu le matériau d’une œuvre ouverte en perpétuel devenir qui porte témoignage au plein sens du mot.

Dans le même temps, la scénographie de l’exposition souligne la farouche quête de liberté qui anime dès le début celui que d’aucuns présentent comme un « bricoleur contrebandier». Elle montre comment l’élaboration des traces du réel et de l’expérience s’accomplit, dans le temps long, à partir d’un point de vue unique et très personnel qui semble ne jamais se soumettre aux temporalités et aux contraintes de la commande officielle. Elle révèle un homme habité par « l’esprit d’enfance » comme le dit la poétesse Florence Delay, celle qui prête sa voix en off au texte de Sans Soleil et offre, dans le catalogue de l’exposition, un beau portrait du réalisateur-écrivain. Elle nous fait découvrir un explorateur curieux, ouvert au hasard, sensible à l’incertitude des représentations : « On ne sait jamais ce qu’on filme » dit Marker dans Sans Soleil. Et, comme le montre le choix des documents exposés, cette attention à l’opacité ou à l’équivocité des signes, est présente dès ses premières interventions, en 1943, avec le faux reportage photographique montrant l’exécution d’un milicien par des résistants. Elle ne cesse d’orienter tout son travail sur ou contre la production médiatique : en particulier le démontage des fausses images de la télévision ( Détour Ceausescu) qui fait de Chris Marker comme de Jean-Luc Godard un des regards critiques les plus stimulants pour ceux que préoccupe le formatage de la pensée à l’ère de la technologie avancée. Un des initiateurs les plus féconds de « contre-espaces » alternatifs entre autres avec la série « On vous parle de ».
Or la quête de liberté, par la force des circonstances historiques, a pris la forme très concrète d’une entrée dans la Résistance chez cet homme qui avait tout juste 18 ans quand a éclaté la seconde guerre mondiale. Pourtant issu d’un milieu vichyste, il rejoint alors, dès 1942, le réseau Alliance dirigé par Madeleine Fourcade. Son adhésion aux valeurs d’émancipation fait logiquement de lui un pionnier de l’éducation populaire et un pilier du mouvement « Peuple et culture » fondé à la Libération. Un mouvement dont la devise «rendre la culture au peuple et le peuple à la culture » fait écho, pour lui, au mot d’ordre « d’une poésie faite par tous et non par un » repris de Ducasse par les surréalistes. L’exposition de la Cinémathèque montre parfaitement combien cet idéal éthique, esthétique et politique a constamment inspiré Marker depuis les pièces radiophoniques des années 45-50 jusqu’au documentaire A bientôt j’espère (tourné entre mars 1967 et janvier 1968) et aux films collectifs tels Classe de lutte accompagnés par la coopérative de Production SLON et impulsés par les groupes Medvedkine en 1968 mais aussi tels que 20 heures dans les camps sur une TV créée par des réfugiés bosniaques en 1993.

Le grand mérite de l’exposition est bien de rendre lisible d’un bout à l’autre du parcours les continuités et les évolutions par -delà les ans et au -delà des différences de supports. Ainsi le goût du jeune Marker pour les collages et les métaphores surréalistes, les assemblages d’objets hétéroclites ou contradictoires trouve une nouvelle forme d’expression dans les dispositifs muséaux de l’Ouvroir créé plus tardivement sur une Plateforme 3D qui contracte et synchronise des espaces/ temps hétérogènes.
Explorateur des techniques les plus avancées, Marker, plus que quiconque a fait de leur ambivalence le sujet et l’objet de sa pratique artistique. « Je me demande comment se souviennent les gens qui ne filment pas, qui ne photographient pas, qui ne magnétoscopent pas, comment faisait l’humanité pour se souvenir » dit Marker.
La réflexion sur la mémoire et sur l’oubli centrale dans l’œuvre de Marker constitue logiquement le fil rouge du voyage auquel nous invite la Cinémathèque. Sur les conditions de remémoration marquée par la profonde mutation des dispositifs techniques.
Et c’est aussi pourquoi le film La jetée intégralement projeté ici constitue un des temps forts du parcours. Quelle chance pour le visiteur de pouvoir le visionner en ayant accès aux archives de sa genèse : les planches contact des photographies qui le composent, les manuscrits du scénario, le journal de bord du réalisateur ! Quelle émotion pour lui de redécouvrir sur grand écran la puissance poétique de l’image quand le visage endormi d’une femme qu’on croyait perdue s’anime soudain dans un bruissement d’ailes !

CHRIS MARKER, LES 7 VIES D'UN CINÉASTE

Du 3 mai au 29 juillet 2018

LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE
51 Rue de Bercy, 75012 Paris

Métro : Bercy Lignes 14 et 6

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