Pierre Cornuel, peintre-illustrateur : "La vie, c’est partager !"
- Écrit par : Claude Clément
Par Claude Clément - Lagrandeparade.fr/ Grâce à de nombreux ouvrages et tout autant d’expositions, Pierre Cornuel est en France un auteur-illustrateur d’albums pour la jeunesse ainsi qu’un peintre remarqué, maintes fois récompensé. L’insatiable curiosité, la boulimie de créativité, l’humour et la profondeur de cet artiste aux multiples facettes ne rencontrent, semble-t-il, aucune limite de genre, ni aucune frontière géographique. Considéré en Chine comme un artiste contemporain majeur, il vole, carnet en mains, d’un continent à l’autre, à la façon d’un lutin malicieux et intrépide, doté d’un regard aigu et d’une incroyable aisance à représenter ce qu’il voit ou ce qu’il imagine, croquant paysages, silhouettes ou visages de rencontres, dans les rues, sur les plages, dans les cafés, les restaurants et jusque dans les halls d’aéroport. Après avoir publié nombre d’œuvres chez Grasset, Flammarion-Père Castor, Nathan, Acte Sud… son vif intérêt pour la peinture chinoise l’a conduit à trouver chez Hong Fei Cultures une place de choix : celle d’un artiste ouvert à des influences aussi diverses que maîtrisées, ne cessant jamais d’élaborer une identité singulière et puissante.
Pierre, racontez-nous un peu ce qui a déclenché votre vocation et votre parcours aux richesses variées.
Enfant, à la récréation, j’adorais raconter des histoires aux copains. Je dessinais ce qui manquait au tableau. On riait beaucoup ! Ce plaisir du partage n’a jamais cessé. Adolescent, avec un camarade, j’écrivais de petites pièces de théâtre, mises en scène avec des marionnettes, pour un public de notre âge. Nous sentions très vite ce qui fonctionnait ou non ... Ensuite, après un douloureux déménagement, l’isolement complet à la campagne m’a conduit à la création de BD. Puis, dès l’âge 17 ans, j’ai entrepris de grands voyages en autostop pendant les vacances d’été. Le « Cap nord », la traversée des USA de New York à San Diego. ..Les rencontres surprenantes s’enchaînaient dans des situations hasardeuses : la fille d’un milliardaire… un gars fraichement sorti de prison… Ma maison était mon sac à dos ! J’aimais ne pas savoir où je serais le soir, échanger des croquis contre de quoi manger… Je fis ainsi de nombreux voyages : dans toute l’Europe, en Australie, en Corée, en Chine, en Turquie et souvent en Grèce. J’y ai rencontré des artistes et découvert leurs techniques. Après l’ESAM, j’ai fait mes débuts dans la pub, puis ai réalisé quelques BD dans Pif , Spirou et chez Bayard presse. Puis, je me suis retrouvé au moment du lancement d’Impact Médecin en tant que jeune DA. Mais au bout d’un an, malgré la sécurité financière, je décidais d’abandonner ces contraintes étouffantes, pour m’orienter vers l ‘édition et l’illustration.
Un véritable artiste se construit sur la base d’influences déterminantes. Quelles ont été les vôtres ?
Passionné de Jazz et de musiques improvisées (John Coltrane, Cecil Taylor, Miles Davis etc.) Jean Rochard avait créé un label de jazz indépendant : Nato. Il se trouvait que je réalisais déjà, dans mon atelier, pour mon usage personnel, des peintures non figuratives pour accompagner ces musiques. J’étais également passionné d’art moderne. C’est donc tout naturellement que Jean Rochard me confia la direction artistique graphique de ses albums. Tous les styles y passèrent : du style BD à l’abstraction lyrique. C’était un pur bonheur d’improviser après avoir assisté, parfois, aux séances d’enregistrement. Certaines pochettes remarquées paraissaient dans European Illustration et affirmaient mon intérêt pour la peinture et les distorsions graphiques… J’étais bien loin de l’édition d’alors ! Agacé par les remarques des éditeurs qui me disaient que cela ne se vendrait pas, je pensais que les effets de mode dans l’édition seraient éphémères. Je proposai alors des influences hollandaises ou anglo-saxonne des siècles passés. De Gustave Doré, à Arthur Rackam, Edmund Dulac, et tous ces admirables dessinateurs d’antan. Ce fut Marielle Gens, chez Grasset, qui m’accorda sa confiance la première avec « Désiré Raton » sur un texte de Lydia Devos.
Par sa force graphique et émotionnelle, le trio, Tomi Ungerer, Maurice Sendak et Etienne Delessert a été aussi très présent au sein de mes influences dans l’édition. Ralph Steadman, André François, Stanislas Bouvier et nombre d’autres - qui faisaient les belles pages d’European Illustration et d’Illustration Now-, étaient ceux qui incarnaient l’appellation d’illustrateurs-artistes à mes yeux. Les peintres faisaient le reste…
Vous semblez ne jamais arrêter d’apprendre, mais vous ne cessez également de vouloir transmettre. Dîtes-nous ce que représente pour vous le fait d’être aussi professeur dans une école d’Art.
Quand l’ordinateur est apparu, j’étais curieux de savoir ce que la nouvelle génération allait en tirer. On me proposa alors d’enseigner à l’ESCM. C’était formidable d’être face à ces jeunes de 20 ans ! L’échange était fort et j’ai aussi appris pas mal d’eux. Aujourd’hui j’enseigne à L’ESAM Design, et chaque nouvelle année est étonnante. J’ai aussi, en mai dernier, en Chine, en partenariat avec l'Alliance française de Nanjing, son directeur Gérard Gréverand et l'ESAM design de Paris avec sa directrice Catherine Exer, - eu un échange culturel avec cinquante étudiants de 21 ans,- au « NANJING University of the Arts », pour créer un magazine, "UNIK", sur le thème de la ville de Nankin (ancienne capitale de la chine). Expérience extraordinaire ! Leur volonté de réaliser en une semaine un vrai journal de 52 pages, articles et illustrations compris, était enthousiasmante et très créative. Quel challenge !
Que vous apporte la littérature de jeunesse et vos contacts avec le monde de l’enfance par rapport à la peinture et aux expositions ?
En fait, il s’agit toujours, pour moi, de raconter des histoires. Durant chaque année de sa vie, ma fille a vu un album l’accompagner, avec textes et dessins aux styles variés que je sentais en phase avec son âge. J’abordais les faits de société, racisme, racket, le diktat des modes etc. Parallèlement, réaliser mes peintures - autour de l’Odyssée par exemple -, dans un registre tout à fait « abstrait » me permettait de revivre un partage d’aventures admirables avec tous les personnages d’Homère. L’exposition suivante abordait le souffle QI. Gestuelle de fleurs noires sur grands formats, lavis aux huiles noires diluées, était une concrétisation de ma perception « d’un souffle de vie spirituel du monde ». Grasset me proposa alors de faire un livre autour d’un artiste d’extrême orient. Je choisis Chu Ta, « le génie du trait ». La validation indirecte de François Cheng, ami d’Olivier Nora et de Valéria Vanguelov (des éditions Grasset) fit le reste. Je proposai de m’immerger dans la technique traditionnelle aux pinceaux chinois, improvisée sur papier absorbant aubier de santal. Pas de gomme ni de crayon. On demeure en suspens au dessus de la feuille. Le souffle de vie doit y être. Il s’agit d’une approche empruntée au taoisme, par ce grand peintre du 17 ème siècle.
À Paris comme à l’étranger, vous ne vous déplacez jamais sans votre carnet de croquis. Quelle importance ce goût de l’instantané a-t-il dans votre travail et votre existence ?
Prendre des notes, dessiner un paysage ou faire des portraits lors de mes rencontres m’est essentiel. Un peu comme le pianiste qui fait ses gammes chaque jour, ces croquis me permettent de me nourrir en permanence du présent et de garder de la souplesse. Presque toutes les idées, (les textes de mes livres et la réflexion de création de mes expositions), s’y trouvent notées dans leur conception. Au départ, il s’agissait de carnets de voyages. Maintenant, leur côté anarchique donne plutôt l’impression de carnets de vie. La quantité de portraits y est très importante. C’est un premier échange pour moi avec autrui. La première impression intuitive, sensorielle, est sincère. Pas aussi peaufinée et polie par la suite, quand on revoit la même personne. Mais cela permet de déceler une chose étrange… « Méfiez vous de la première impression c’est souvent la bonne » disait Talleyrand.
Dans le monde du livre de jeunesse, je voudrais saluer ici le spectaculaire travail de Janine Kotwica et de Jean Perrot autour des acteurs de la profession : auteurs, illustrateurs, éditeurs . C’est remarquable de qualité et de générosité.
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*Vidéo extraite du livre de Jean Perrot « Carnets d’illustrateurs ». Éd. Cercle de la Librairie.
Dans vos peintures on trouve différents thèmes : « L’Odyssée », « Messages », Minimalisme », « Asia », « Fleurs Noires », « Femmes rebelles »… Expliquez-nous votre démarche et vos techniques.
Après ma collaboration avec Nato, je manquais un peu de liberté dans l’illustration. La peinture fut donc une compensation importante. Travailler, avec de forts empâtements, de grands formats à la gestuelle ample me donnait une nouvelle vie. Pour l’Odyssée je m’étais attaché à une vision non figurative de tous les personnages d’Homère. Marie Thérèse Devèze a apprécié cette démarche et a exposé ce travail dans sa galerie « l’Art à la Page », rue Amelot, dans le quartier de la Bastille.
Le journal mensuel « Message », représenta une démarche spéciale de ma part. Chaque mois, je réalisai une toile à partir d’un texte humanitaire ou spirituel. Chaque œuvre isolée m’a permis de faire de nombreuses recherches et découvertes graphiques.
« Femmes rebelles » est un ode aux multiples femmes et amies, quel que soit leur pays d’origine. Elles m’ont ouvert le champ de nombreuses réalisations créatives, culturellement diversifiées.
« Minimalisme » concernait à nouveau, de façon radicale, les musiciens de jazz, de Keith Jarret à Tony Williams en passant par Anja Garbarek etc. Cela représentait un nouveau dialogue musical sur toile.
Et la Chine ? Comment est-elle arrivée dans votre vie ?
Ah, c’est curieux ça ! Mon travail d’édition, dans un style très anglo-saxon au départ, tendait de plus en plus vers une synthèse, que je traitais aussi dans mes peintures. Le souffle QI dans l’expo Fleurs noires tendait, lui, fortement vers une approche asiatique. Pouvoir dire plus avec moins m’interrogeait chez nombres d’artistes. Un envol d’oiseaux en quelques coups de pinceaux me fascinait tout autant que le parcours et l’évolution d’un Piet Mondrian. Je dois dire que les préceptes taoistes sont assez proches de ma façon de penser. Plusieurs rencontres en Corée, au Vietnam et en Chine ont fortement nourri ces intérêts.
Enfin, parlez-nous de votre rencontre avec les éditions Hong Fei Cultures et des ouvrages récents que vous avez réalisés ensemble.
J’avais un projet qui me tenait à cœur : un livre leporello qui, déployé, mesurerait une dizaine de mètres de long. Il s’agissait d’ « Éclats de lune ». Une histoire autour de la motivation de vie, du fait de croire en soi et de la complémentarité de nos différences. Cela sur le thème du parcours qui est plus important que le but. Je le proposai après « Chuta, le peintre et l’oiseau » à Grasset, qui ne me donna jamais de réponse. Par contre l’éditeur Thierry Magnier, enthousiaste, me conseilla de contacter les maisons Piquier et HongFei, qui se situaient dans cette veine asiatique. La rencontre avec Chun-Liang Yeh et Loïc Jacob, de HongFei Cultures, déboucha sur un coup de cœur. Une collaboration nous sembla évidente. Une belle entente rigoureuse, dans le respect mutuel au sein de la création s’en suivit. Leurs livres, autour des thématiques du voyage, de la relation à l’Autre, du rapport à l’inconnu et, principalement de l’altérité, sont proches de mes intérêts.
« Le Héros », mon nouvel album chez HongFei représente le franchissement d’une nouvelle étape. Bien que la source en soit celle d’un conte chinois de Chen Sou du IIIème siècle, HongFei m’a accordé une grande liberté d’adaptation. L’histoire se résume ainsi : Depuis son enfance Zhou Chu est connu pour son arrogance et sa brutalité. Seule sa cousine Yisha lui conserve son affection. Alentour, on le considère comme un fléau au même titre qu’un tigre et un poisson monstrueux. Incité par un villageois à affronter ces féroces créatures, il disparaît pendant le combat. Le croyant mort avec les deux autres et certain d’être débarrassé des trois fléaux, le village entre en liesse. Mais bientôt, Zhou Chu revient et comprend qu’on le détestait. Commence alors une rédemption et une remise en question du personnage, qui reconsidère toutes les formes d’existence. « J’ai dû quitter ma chrysalide pour comprendre la vie du papillon… » et «Se dépasser soi même est plus important que dominer les autres » Voilà un message que je propose volontiers à mes étudiants.
La vie c’est partager !
À découvrir, Le Voyage d'un artiste Portrait documentaire de l'artiste et de son oeuvre. Film de Mariane Henrique, P.A.Luminère, 2013 (14mn ; Pierre Cornuel y présente Eclats de Lune : à la mn 6'25)
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Site de Pierre Cornuel Peintre
Site de Pierre Cornuel Illustrations
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