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Memory Box : si Beyrouth m’était contée

  • Écrit par : Romain Rougé

memory boxPar Romain Rougé - Lagrandeparade.com/ Présenté en avant-première lors du 43e Cinémed de Montpellier, le film de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige est en salle depuis le 19 janvier.
À l’intérieur de cette boîte à souvenirs : des cahiers, des cassettes et des photos que Maia (alors adolescente) a envoyé de Beyrouth à sa meilleure amie partie à Paris pour fuir la guerre civile. Un passé que Maia refuse d’évoquer mais qu’Alex, sa fille, va discrètement remuer.
Le film a lui-même vécu quelques traumatismes puisque tourné pendant la pandémie et bouclé quelques jours après l’explosion du port de Beyrouth. Une aura singulière émane de Memory Box qui se ressent autant qu’il se regarde, les années 80 libanaises étant les effluves d’un ressac présent.
Joana Hadjithomas et Khalil Joreige ne tombent jamais dans l’écueil du misérabilisme émotionnel, ni chez leurs personnages, ni pour Beyrouth toujours meurtrie, à qui ils font finalement une belle déclaration d’amour. Car les omissions volontaires de Maia sont intimement liées au trou noir de son pays : la guerre civile introuvable dans les livres d’histoires « n’a pas été transmise Â». La transmission s’opère avec l’ouverture de la boîte sous l’œil espiègle de sa fille : les cahiers et les polaroïds sont respectivement la texture et les impressions d’un passé qui reprend vie.
Les voix de Killing Joke, Visage, Kim Wilde, Blondie, se posent sur les milliers de photos et de mots déterrés par Alex qui va fantasmer le passé d’une mère froide et mélancolique. « Si on ne garde aucune trace du passé, est-ce possible de vivre notre présent ? Â», commente Joana Hadjithomas qui a utilisé pas moins de 10 000 photos « pour rendre l’époque sensorielle Â». Visuellement, le rendu est superbe, inventif, aidé par la pratique plasticienne des deux cinéastes. « Dans ce film on avait envie de mêler, d’imbriquer Â», ajoute Khalil Joreige.
Si l’œuvre est si touchante, c’est aussi grâce à ce travail esthétique qui nous immerge dans l’atmosphère crépusculaire d’une adolescence à l’insouciance empêchée par un chaos aussi brutal qu’annoncé (sublime scène dans laquelle Maia et son amoureux filent en scooter avec en arrière-plan, un ciel à feu et à sang). Les mots « Beyrouth est détruite Â» finissent par être prononcés ; ils glacent car ils sont terriblement actuels. Mais Joana Hadjithomas et Khalil Joreige brisent néanmoins l’idée de « cycle Â» la qualifiant d’assez « désespérante Â» : « Les choses se reconstruisent forcément Â», des immeubles poussent sur des ruines et le jour finit toujours par se lever dans un éblouissant time-lapse.
On se retrouve alors sur cette plage baignée de soleil où deux adolescents courent l’un vers l’autre au son de « Love Like Blood Â» (donnant par la même occasion une des plus belles affiches du Cinémed à ce jour). Quel beau souvenir, ce Memory Box.

Memory Box
Réalisation : Joana Hadjithomas et Khalil Joreige
Avec Rim Turki, Manal Issa, Paloma Vauthier
En salles : 19 janvier 2022

 


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