Par Sylvie Gagnère - Lagrandeparade.com/ Tout commence dans la forêt, une forêt où Vern accouche de jumeaux, Hurlant et Farouche, seule, et où elle décide de les élever à l’écart de toute influence du monde extérieur. Vern s’est enfuie d’une secte, le Domaine de Caïn, où elle a grandi et été mariée. Femme, intersexe, noire, albinos, malvoyante, elle fuit. Elle fuit la secte qui est à sa recherche, les loups à sa poursuite, et le Démon. Dans cette communauté noire séparatiste, le monde des blancs est rejeté, afin que cet endroit soit un Paradis pour les noirs. Mais cela n’en reste pas moins une secte, dont les membres sont ligotés la nuit, livrés à un gourou qui a fait de Vern sa femme pour la « sauver Â», et punis pour leurs « vices Â» - l’homosexualité en particulier. Vern a choisi de fuir et de se battre, pour offrir à ses enfants une vie libre. C’est le cas pendant plusieurs années, avant que la jeune femme ne se rende compte que la secte la poursuit encore, tandis que des modifications corporelles profondes l’affectent.

Lorsqu’elle quitte la forêt, elle rencontre Gogo, une native, qui l’aide à survivre et surtout à s’accepter et à comprendre les changements induits par le mycélium qui se développe en elle. Le chemin de l’acceptation de sa sexualité et de son identité, celui de la liberté sera long et ponctué de violences pour Vern.

Comme dans son précédent roman, Les Abysses, Rivers Solomon plonge son récit dans l’histoire des États-Unis, l’esclavage et les atrocités commises sur les femmes noires, mais aussi sur les autochtones, et plus largement, parle des expérimentations médicales monstrueuses de l’histoire récente de l’humanité. Elle dénonce les gouvernements qui exploitent, expérimentent sans la moindre hésitation les plus faibles. Le passé résonne dans le présent, magnifié par les figures des fantômes, angoissants, mais également compagnons de Vern.

Entre fantastique et SF, Sorrowland est inclassable et quasi inracontable. Mais c’est un récit qui prend aux tripes, dont l’écriture, très maîtrisée, touche au cœur, fait naître l’indignation, la colère, l’amour, l’espoir, toute une palette de sentiments qui jalonnent la lecture. L’auteurice aborde l’histoire des noirs aux États-Unis, les combats des Premières Nations, le genre, la sexualité, la place de la violence dans les luttes, une profonde réflexion sur les moyens à utiliser, la religion. Pour autant, ce n’est pas un tract militant, c’est un vrai roman, aux personnages complexes et originaux, qui fait la part belle au corps, même maltraité, même malaisant, même étranger et à la tolérance, à l’acceptation de l’autre, à la rencontre.

C’est une littérature engagée, physique, sensuelle et d’une immense originalité, qui dérange, sans doute, mais n’est-ce pas le rôle de la littérature ? C’est un livre qui cogne, fort, et dont on se souvient longtemps après l’avoir refermé… 

Sorrowland
Auteurice : Rivers Solomon
Éditions : Aux Forges de Vulcain
Parution : 13 mai 2022
Prix : 20 €