« Le fardeau » : la honte d’un secret de famille
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Paru à la rentrée littéraire, parmi 500 romans, dont une bonne vingtaine de « récits familiaux », « Le Fardeau », de Mathieu Niango, est passé sous les radars. Et pourtant, les confessions de ce prof de philosophie, d’origine franco-ivoirienne, ayant subi le racisme, en province, dans les années 80 (qui a vu l’émergence du Front National de Jean-Marie Le Pen), sont on ne peut plus d’actualité. Ce, à un an des prochaines élections présidentielles, lesquelles prédisent un raz-de-marée ultra-droite, obsédée par l’immigration.
L’auteur préparait l'agrégation de philo, quand sa mère lui a révélé qu'elle avait été adoptée. Jusque-là, rien d’extraordinaire. Elle n'a jamais voulu savoir qui étaient ses parents biologiques (et pour cause…). Au terme d'une enquête poussée, il découvre que sa mère est née en 1943 dans un « Lebensborn », ces pouponnières nazies auxquelles les SS confiaient leurs enfants pour qu'ils deviennent de purs Aryens. En allemand ancien, Lebensborn signifie « fontaine de vie ». Pour remédier aux avortements et renforcer la natalité, Himmler encourageait les SS « purs » à avoir des enfants hors mariage. Les archives confirment que les exigences pour l'assistance aux femmes enceintes étaient extrêmement rigoureuses. Les enfants étaient ensuite déclarés « Enfants du Führer ».
Vingt mille bébés sont nés dans ces maternités nazies, créées avant la guerre par Himmler. Loin des bombes, elles accueillaient des filles mères, leur offrant gîte et couvert, et évitant ainsi la relégation sociale. Mais, les enfants étaient élevés selon les principes nazis, destinés à devenir l'élite d'une race dite pure. La politique nazie associait d'un côté stérilisation forcée et, de l'autre, l'accueil sélectif des filles mères. Une dizaine de Lebensborn existait en Norvège et aux Pays-Bas, une dizaine en Allemagne, trois en Autriche, trois en Pologne, et un en France. La mère de Mathieu Niango a été abandonnée dans un Lebensborn belge. Jugés à Nuremberg, les responsables ne furent pas reconnus coupables.
Il n'est déjà évident pour personne d'accepter que votre grand-père était un nazi. Mais qui pourrait imaginer qu'un métis a un grand-père SS ? Deuxième choc : sa grand-mère était juive (hongroise). Elle a conçu (de force) sa mère avec un officier de l'armée allemande. La généalogie mène à tout à condition d’en sortir… Tout prof de philo qu’il est, ça fait beaucoup d’infos d’un coup sur son héritage familial, donc les non-dits : « Adolescente, je pense que je me serais éliminée », confie la mère de Matthieu, tant la honte accompagnait cette révélation. Avec son fils, elle mettra vingt ans à reconstituer sa généalogie. Son nom véritable était Gizela Sestura, avec « un accent que les gens tracent comme un sourire un peu plus haut à gauche qu'à droite, gentiment ironique ».
L'enquête se poursuit en quatre parties, présentant successivement la grand-mère puis l'arrière-grand-père. Ce récit décrit également le vécu de réfugiés, leur désespoir et la misère, et le déclassement d'une famille bouleversée par l'Histoire. L’histoire est suffisamment forte pour être racontée, mais cela en fait-il une œuvre littéraire ? Alors qu’il y a déjà eu pléthore de confessions familiales : « Maman vient me chercher en voiture à la gare. Nous roulons lentement dans la campagne meusienne jusqu’à Jouy-sous-les-Côtes. Nous parlons de ma grand-mère, bien sûr. Qu’elle ait atteint l’âge vénérable de quatre-vingt-quinze ans nous console un peu, tout comme ses dernières années dans une maison de retraite tenue par des bonnes sœurs, qui se sont bien occupées d’elle. Mes frères et sœur nous attendent dans sa maison, ils me prennent dans les bras. Nous nous mettons à table dans cette cuisine typique de la Lorraine ancienne, avec son poêle à bois, son bac en pierre surmonté d’une arrivée d’eau, et chose étonnante, son lit. Je m’attendais à ce qu’ils soient tristes. Il y a autre chose. Grégoire se tait, lui qui est tellement bavard. Maman, au regard si franc d’habitude, baisse les yeux. Je cherche à combler le vide.
"Matthieu, m’interrompt ma mère, je suis arrivée ici à deux ans et demi. » Je sais depuis ce que signifie l’expression : le cœur se serre. On pourrait aussi dire qu’il s’assèche, qu’il est prêt à partir en miettes ou que le cours de la vie se glace avant de s’écouler dans une autre direction. Comme lorsque Camille, ma compagne, m’a annoncé qu’elle était à nouveau enceinte et que, d’abord, la frayeur m’a figé, avant d’être chassée par une joie surhumaine. Deux ans et demi. Mes grands-parents s’étaient installés dans cette maison à leur mariage. Je suis arrivée ici à deux ans et demi ne pouvait vouloir dire que : J’ai été adoptée. Ma mère a été adoptée… Ces mots patinent dans ma tête."
Le mot « résilience », mis à toutes les sauces, prend pourtant ici toute sa valeur. Ces femmes courageuses ont, malgré tout, ont su garder leur sourire, et élever leurs enfants. Ce récit néglige, à notre sens, l’aspect psychologique (inconscient) des boulets ancestraux. Ces fantômes qui nous poursuivent et dont on peut s’alléger en consultant un psy. En France (à Saint-Germain-des-Prés, plus précisément), on écrit des livres. Certains sont primés. D’autres perdus dans la masse. Les derniers seront les premiers, dit-on. L’écho du « Fardeau » de Mathieu Niango pourrait bientôt résonner de manière lugubre. On en reparlera alors que certaines énièmes histoires familiales de « people » mis en exergue, le temps d’une rentrée littéraire, seront oubliés.
Le fardeau
Editions : Mialet-Barrault (MB)
Auteur : Mathieu Niango
400 pages
Prix : 22 €
Parution : 20 août 2025






