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Les secrets de la Mer Rouge : le dernier aventurier aux semelles de vent

  • Écrit par : Guillaume Chérel

grassetPar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Heureux celles et ceux qui n’ont encore jamais lu Henry de Monfreid. Qu’ils sachent, tout d’abord, que la première édition des « Secrets de la mer rouge » date de 1931. Depuis, les éditions Grasset ne cessent de republier (l’été, généralement) cette œuvre inclassable (dont une illustrée par des dessins d’Hugo Pratt, le père de Corto Maltese, évidemment), car à la hauteur des plus grands écrivains d’aventures, tels Jack London, Conrad, Stevenson… La différence, c’est qu’à l’instar de son illustre prédécesseur, Sir Richard Burton, l’érudit capitaine de l’armée Britannique, tout ce qu’il raconte, il l’a vécu intégralement, sans en rajouter. Et qu’il a su le raconter avec talent.

Selon la légende, c’est Joseph Kessel, autre bourlingueur invétéré qui l’a convaincu de se lancer en littérature. Le résultat est toujours aussi bluffant. Son style n’a pas vieilli. En comparaison, les « voyageurs instagrammés » d’aujourd’hui passent pour des tacherons. Des pisseurs de copies aseptisées. A croire qu’ils n’ont jamais lu d’autres livres que les leurs… Passons.

Or donc, après des années à exercer divers petits boulots (il a raté le concours d’ingénieur pour les chemins de fer), comme colporteur au Planteur de Caïffa, chauffeur de maître, contrôleur de qualité du lait, éleveur de volailles, « chef de ramassage » à Fécamp, il décide de prendre la poudre d’escampette, en d’acceptant un poste d’agent de factorerie à Djibouti.

Henry de Monfreid y débarque à l’âge de trente-deux ans. Il devient commerçant en cuirs et cafés. Cette existence le lasse vite. La mer l’attire furieusement. Il faut dire qu’il est né à Leucate (Aude) et a passé sa jeunesse à naviguer à la station balnéaire de La Franqui. Il achète un modeste boutre, engage deux matelots somalis, un mousse et se lance dans l'aventure. La pêche aux perles d'abord, puis surtout le commerce des armes. Ce ne sont plus que poursuites, chassés-croisés entre trafiquants et policiers de la mer, tempêtes, sur cette mer Rouge où tout parait permis ou presque.

Le Harrar, Djibouti, Aden... Le jeune Monfreid marche sur les traces de Rimbaud. Mais, au départ, trop pris par le feu de l’action, la littérature ne l'intéresse guère. Pas plus que la politique, les conflits mondiaux, voire la prétendue « civilisation », ces petits comptoirs coloniaux, étriqués, où il étouffe à nouveau quand il doit s’y attarder. Il lui faut l'air du vent, du large, les embruns, le pont de son boutre salé par l’eau de mer, toutes voiles dehors. Esquivant les coups de vent et tempêtes, et autres pirates, trahisons. Toujours en compagnie de ses fidèles Danakils, dont il porte le turban et le simple pagne. Plus fort que Sir Richard Burton, cité plus haut (connu pour être le premier occidental à avoir pénétré la Mecque), Henry est allé jusqu’à se convertir à la religion musulmane, pour avoir la paix… Si l’on peut dire.

Remarquable marin, il trafique les perles et les fusils avec une égale audace, déjouant (le plus souvent) les pièges d'une administration sourcilleuse, rusant avec les marchands ou les pirates arabes. Son racisme d'homme blanc (nous sommes en 1913) – comme ce fut le cas pour Jack London, en Californie – est atténué par une intelligence et une réelle ouverture d'esprit. Monfreid n'est pas poète mais homme d'action. Il se doit d’être rusé, caméléon. Excellent conteur, à l’instar du roumain Panaït Istrati, il sait entrainer avec lui les lecteur sur cette mer aux flots limpides, illuminés sous un azur aveuglant. Henry de Monfreid a su comme personne en exprimer la puissante magie.

Cette énième réédition (avec la même couverture qu’à l’époque de sa parution) est ici préfacée par un militaire, l’amiral Loïc Finaz, ancien directeur de l’Ecole de guerre. Pas sûr que le rebelle à toute autorité ait apprécié de prendre langue avec ce haut-gradé. Parions que oui, évidemment. Puisque c’était un marin, auteur lui-même de livres de mer. Henry était issu d’une bonne famille, ne l’oublions pas. Il savait se tenir quand il le fallait. Sinon, il ne serait pas mort dans son lit, en 1974, à l’âge de 95 ans, dans le XVIe arrondissement de Paris.

Les secrets de la Mer Rouge
Editions : Grasset 
Auteur : Henry de Monfreid (préface de Loïc Finaz
Illustration originale de couverture : Bois gravé de Gérard Cochet
392 pages
Prix : 24 € 
Parution : 16 avril 2025


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