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« Les Romans Durs » : Georges Simenon raconté par Patrice Leconte

  • Écrit par : Serge Bressan

lecontePar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Longtemps, il fut considéré comme un écrivain populaire.

Son œuvre donne le vertige : 193 romans, 158 nouvelles, des œuvres autobiographiques ou encore des articles publiés sous son nom, et aussi 176 romans, des dizaines de nouvelles, contes galants et articles parus sous 27 pseudonymes. Aujourd’hui, alors qu’on a célébré le 13 février dernier le 120ème anniversaire de sa naissance, il demeure l'écrivain belge le plus lu avec 550 millions d’exemplaires vendus dans le monde. Toutes nationalités confondues, Georges Simenon est le 17ème auteur, le 3ème de langue française (après Jules Verne et Alexandre Dumas) et l'auteur belge le plus traduit dans le monde, avec 3 500 traductions en 47 langues ! Ayant entretenu une correspondance quasi quotidienne avec Simenon, l’écrivain français André Gide (1869- 1951) a affirmé : « Simenon est un romancier de génie et le plus vraiment romancier que nous ayons dans notre littérature d'aujourd'hui ». Créateur du commissaire Maigret et de tant d’autres personnes qui habitent les milliers de pages qu’il a noircis, l’écrivain belge, né le 13 février 1903 à Liège et mort à Lausanne le 4 septembre 1989, fait ces temps-ci un retour remarqué en librairies. Ses 117 « romans durs » sont réédités en 12 volumes- le premier est ouvert par un entretien avec le cinéaste Patrice Leconte qui, à deux reprises (« Monsieur Hire » en 1989 et « Maigret » en 2022), a adapté sur grand écran un Simenon. Pour La Grande Parade, il raconte « son » Simenon.

Comment l’œuvre de Georges Simenon est arrivée à vous ?
Je suis entré en Simenon par Maigret. Je devais avoir 14 ans… Quand mes parents partaient en voyage, ma grand-mère venait nous garder à Tours (Indre-et-Loire) où nous habitions. Elle amenait des livres, des Maigret qu’elle laissait quand elle partait. Alors, je les lisais, moi qui me demandais comment on pouvait être captivé par Chateaubriand. Maigret, ça me parlait, c’était magique. En même temps, quelque chose me retenait, j’avais des doutes sur mon plaisir à lire ce genre de livre qu’on classait facilement dans le genre « littérature de gare »…

Quel est le déclic, l’événement qui vous a fait admettre que lire Simenon et ses Maigret n’est pas un plaisir inavouable ?
En classe de Terminale, au début de l’année scolaire, notre professeur de philosophie, Monsieur Payot, nous dit que nous allons étudier Nietzche et Kierkegaard mais que, bien plus que ceux-là, le plus grand philosophe c’est Georges Simenon. Et là, il sacralisait Simenon que je lisais sans l’avouer. Soudain, je me suis senti à l’aise, même si de toute l’année scolaire, notre professeur ne nous a jamais reparlé de Simenon…

Justement, qu’est-ce que Simenon philosophe ?
Dans tous ses livres, il évolue au plus près de la nature humaine. De l’humain. Simenon, c’est un magnifique observateur des gens, des dysfonctionnements, des dérapages… Il établit une manière de voir la vie, le monde, jamais fumeuse…

A l’occasion du 120ème anniversaire de sa naissance, vous introduisez le premier des douze tomes de ses « Romans durs »…
…une précision s’impose : ces « romans durs » ne sont pas des romans durs à lire ! Je dirai plutôt que ce sont des romans sombres. Simenon y développe un tel art de l’observation. Une observation pessimiste de la nature humaine… et pourtant, il était un type assez jovial, un bon vivant avec une puissance de travail hors du commun. Mais il n’était pas vraiment d’un optimisme scintillant. Il ne pratiquait pas la complaisance. Avec Simenon, on est dans la vraie vie, avec de vrais gens.

Les 117 « romans durs » de Simenon raconteraient-ils la tragédie humaine ?...
Un peu comme « La Comédie humaine » de Balzac…. Mais on peut dire cela de tous les grands auteurs. Dans ses livres, Simenon est assez hors du temps, ce qui fait que ses romans sont universels. Ils n’ont pas besoin d’être datés, juste besoin d’être non datés. Juste atemporels. Ses histoires sont universelles- si elles étaient trop datées, le lecteur serait moins concerné.

romans dursS’il vous fallait définir l’univers de Georges Simenon…
…je dirais : attentif, réaliste, humain et pessimiste.

…et son écriture ?
Il y a un réel style Simenon. Avec une grande économie des mots. A chacun de ses livres, il donnait une leçon d’écriture : rien à élaguer, rien à virer. S’en tenir à l’essentiel. En deux pages, le lecteur est pris par un truc, d’emblée. Parfois, les fins sont un peu bâclées mais tous ses livres sont assez parfaits. Jamais je n’ai été déçu par la lecture d’un Simenon !

117 « romans durs » réunis en 12 volumes

A coup sûr, c’est bien là un des événements de ce début d’année littéraire. En effet, pour célébrer le 120ème anniversaire de l’écrivain belge Georges Simenon (13 février 1903- 4 septembre 1989), les éditions Omnibus rééditent ses 117 « romans durs » réunis en 12 volumes…. Membre de l’Académie royale de langue et de littérature française de 1951 à 1989, il s’est fait connaître, après avoir signé nombre de textes sous pseudonymes (la légende affirme qu’il en a comptés jusqu’à 27 !), avec les enquêtes du commissaire Maigret qu’il a lancé, sous forme de nouvelles dans l’hebdomadaire français « Détective » à la demande de Joseph Kessel. Mais en février 1931, il décide qu’il ne consacrera pas tout son temps d’écriture à « son » commissaire, un genre- le « roman populaire » dont il pressent qu’il y sera à l’étroit. Il en fait part à son éditeur Fayard qui lui lance : « Vous êtes fou ! vous allez vous casser le nez en essayant d’écrire autre chose que du roman policier ! » Simenon n’en démord pas, il ne laisse pas tomber Maigret mais alterne avec ce qu’il va appeler des « romans durs » qui, entre 1931 et 1972 (date à laquelle il met fin à sa carrière romanesque), seront publiés chez Gallimard.
Contrairement aux Maigret avec lesquels il se sentait faire le métier en professionnel de la plume, avec les « romans durs » l’écrivain belge se tient à distance des codes d’un genre littéraire et peut appliquer sa devise : « Comprendre mais pas juger ». Dans la réédition des « romans durs » de Georges Simenon dirigée par Jacques Santamaria (homme de médias, scénariste et réalisateur de 9 adaptations de romans durs) et présentée dans l’ordre chronologique des parutions originelles, chaque volume est ouvert par un entretien avec une personnalité du cinéma ou de la littérature. Ainsi, sont interrogé.e.s, parmi d’autres, les réalisateurs Patrice, Laurent Heynemann, Bernard Stora, les écrivains et critiques Eric Neuhoff et Pierre Assouline (auteur de l’indispensable Simenon. Biographie, paru en 1992) ou encore Nathalie Serrault et Florence Moncorgé-Gabin.
S.B.

Les romans durs
Auteur : Georges Simenon
Editions : Omnibus / Presses de la Cité
Tomes 1 à 4. Parution : 26 janvier 2023
Tomes 5 à 8. Parution : 9 février 2023
Tomes 9 à 12. Parution : 2 mars 2023
Prix : de 31 à 34 €, chaque tome.

hireLeconte : deux adaptations de Simenon pour le cinéma

Entre cinéma et télévision, à ce jour, on compte pas moins de 300 adaptations d’un texte de Georges Simenon. Patrice Leconte en a réalisé deux pour le grand écran.
« Monsieur Hire » (24 mai 1989) Scénario de Patrice Leconte et Patrick Dewolf, d’après « Les Fiançailles de Monsieur Hire », roman de Georges Simenon paru en 1933. Avec Michel Blanc, Sandrine Bonnaire, Luc Thuillier, André Wilms, Cristiana Reali,… 1h21.
Tailleur misanthrope et taciturne, ni riche ni pauvre, Monsieur Hire vit depuis des années dans le même appartement. Il attend. Par la fenêtre, il épie Alice dont il est tombé amoureux. Elle habite juste en face, dans un studio ; brusquement, elle se rend brusquement compte qu'il l'observe depuis des mois. Il sait tout d'elle, il est amoureux d’elle mais elle est éprise d'Emile et prête à tout pour le protéger. En arrière-plan, une enquête sur le meurtre non résolu d'une jeune femme. Monsieur Hire est soupçonné par l'inspecteur chargé de l'affaire…
Avant le tournage de « Monsieur Hire », Patrice Leconte avait fait savoir qu’il souhaitait réaliser le remake de « Panique » (1946), le film de Julien Duvivier- un de ses cinéastes préférés. Un producteur propose d’acheter les droits des « Fiançailles de Monsieur Hire », roman de Simenon que Duvivier avait adapté à l’écran. Ce qu’ignorait Patrice Leconte qui, une fois les droits acquis, lit le roman et, dans la foulée, lance la réalisation.
Le film sera présenté au Festival de Cannes 1989, et nommé dans huit catégories aux Césars 1990- avec une victoire dans la catégorie « meilleur son ».

« Maigret » (23 février 2022) Scénario de Patrice Leconte et Jémôme Tonnerre, d’après « Maigret et la Jeune Morte », roman de Georges Simenon paru en 1954. Avec Gérard Depardieu, Jade Labeste, Mélanie Bernier, Aurore Clément, André Wilms,… 1h28.
Un appel anonyme depuis une borne de police : le corps d'une jeune femme est retrouvé Place Vintimille à Paris, 9ème arrondissement. La victime est vêtue d'une robe de soirée mais, ni sur elle ni dans son sac à main, les enquêteurs ne retrouvent le moindre papier d'identité. L’enquête est confiée au commissaire Maigret et à ses hommes du 36, quai des Orfèvres, siège de la PJ parisienne. Ils vont tenter de découvrir l'identité de la jeune morte et de démêler les fils de cette affaire criminelle. La veille, la jeune femme avait loué sa robe dans une boutique du quartier. En dépit d’une santé faible, Maigret décide de suivre l'affaire de très près- ce meurtre réveille en lui le souvenir d’une disparition douloureuse et plus personnelle. L'enquête est difficile, il n’y a aucun indice. Grâce à son intuition, sa patience et son sens de l’observation, son désir de comprendre la courte vie de cette jeune morte, le commissaire va réussir à comprendre les raisons de ce meurtre qui s'avère particulièrement sordide…
Après le tournage, Patrice Leconte a commenté la performance de « son » Maigret, incarné par Gérard Depardieu : « C'est toujours bouleversant de filmer des comédiens quand ils ont du talent. Ils vous donnent de ces trucs... Depardieu, j'ai souvent eu les larmes aux yeux de voir ce qu'il me donnait, comment il s'abandonnait à la caméra avec discrétion, retenue, émotion ».

Crédit -photo : Térèze Wysocki


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