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« Avers » de J.M.G. Le Clézio : hommage aux invisibles…

  • Écrit par : Serge Bressan

aversPar Serge Bressan - Lagrandeparade.com / De toujours, il est passionné pour la numismatique. Il est également attentif aux mots.

Ainsi, J.M.G. Le Clézio, 82 ans et prix Nobel de littérature 2008, apprécie tout spécialement le mot « avers »- venant du latin « adversus » (en VF : ennemi, hostile) et désignant le côté face d’une pièce, où figure le pays émetteur, et récemment il précisait : « L’avers, c’est l’identité, là où réside l’effigie. Il n’y a pas grand-chose sur le revers, si ce n’est la valeur faciale de la monnaie. L’avers est plus intéressant que le revers ». L’auteur, qu’on a découvert avec « Le Procès-verbal » (prix Renaudot 1963), raconte qu’il voulait depuis longtemps écrire un roman où figurerait une pièce de monnaie. Il a commencé la rédaction, a laissé tomber pour se lancer dans l’écriture de nouvelles, c’est donc « Avers », un recueil de huit nouvelles. Sur la couverture, est ajouté un sous-titre : « Des nouvelles des indésirables ». Un livre-hommage aux « gens de peu » selon la terminologie du sociologie Pierre Sansot, aux invisibles…

« Depuis toujours elle écoutait le bruit de la mer sur les brisants. A la baie Malgache, les vagues sont très proches, elles s’allongent sur les cailloux noirs si près l’une de l’autre que ça fait un seul fracas doux, sans respiration, un bruit de moteur. Comme le moteur de la pirogue de son père… », lit-on en ouverture d’Avers. Les premières lignes de « Avers », la première des huit nouvelles. Avec une jeune fille nommée Maureez Samson et en fuite sur l’île Rodrigues- pêcheur, son père a disparu en mer ; il a pêché un crabe et lui a laissé, pour seule richesse, la pièce que le crustacé tenait entre ses pinces… Elle fuit sa belle-mère qui la bat, le compagnon de celle-ci qui l’abuse sexuellement, file dans la montagne, se retrouve dans une institution religieuse, chante dans les églises, le public des fidèles est en transe à l’écoute de cette voix de Maureez interprétant le blues des esclaves… « La musique, pour elle, ce n’était pas un récital, ni même une chorale. Pas une offrande non plus, à qui pouvait-elle offrir quelque chose ? C’était une façon d’être loin, d’oublier les mauvais moments de sa vie, de se libérer ». Une jeune fille a existé, J.M.G. Le Clézio l’a rencontrée lors d’une visite à Rodrigues où il a passé une partie de son enfance- souvenir : « Cette jeune fille, je l’ai rencontrée. Elle avait une voix merveilleuse et chantait des « negro spirituals ». En particulier un chant sublime créé par Harriet Tubmann qui a guidé les enfants fugitifs à l’époque de l’esclavage aux Etats-Unis. Ce chant leur disait : ‘’ Ne marchez pas sur le sentier, marchez dans l’eau parce que les chiens nous suivent. Et si on marche dans l’eau, les chiens ne nous trouveront pas’’ ».
Se glissant dans les pas du voyageur J.M.G. Le Clézio, on se retrouve, à la lecture des autres nouvelles d’« Avers » dont nombre sont bercées par la langue créole (« une langue avec des accents, qui martèle, qui entre dans l’esprit », confie l’écrivain), entre la Palestine et le Liban, dans la forêt de Panama avec des narcotrafiquants… Des enfants en fuite, des migrants, des errants dans des guerres, des passants de frontières- c’est à travers leurs yeux, par l’entremise de Le Clézio, qu’on voit le monde. Ce monde des indésirables, des invisibles que l’auteur d’« Avers » sait, comme nul autre, rendre visibles. Sur la quatrième de couverture de ce recueil de nouvelles, pas de résumé- seulement une déclaration d’intention : « Pour moi, l’écriture est avant tout un moyen d’agir, une manière de diffuser des idées. Le sort que je réserve à mes personnages n’est guère enviable, parce que ce sont des indésirables, et mon objectif est de faire naître chez le lecteur un sentiment de révolte face à l’injustice de ce qui leur arrive ». Evidemment, dans ce monde f(l)ou, certain.e.s ont accusé J.M.G. Le Clézio d’être un doux rêveur ; d’autres, sûr.e.s de détenir toutes les vérités, assurent qu’il est un « écrivain de droite », voire même un néo-colonialiste. Tout ça parce qu’un écrivain à la renommée mondiale met en lumière les indésirables, les invisibles ?

Avers
Auteur : J.M.G. Le Clézio
Editions : Gallimard
Parution : 2 février 2023
Prix : 19,50 €

[bt_quote style="big-quote" width="0"]L’église Saint-Gabriel, c’était un gros édifice en pierre de lave, très noir et très effrayant. Maureez ne le connaissait pas. Elle en avait entendu parler quelquefois, non par Lida ou son Zak, qui n’allaient jamais à la messe, mais par des filles à l’école, et par des institutrices. Elles signalaient de temps en temps qu’il y avait une cérémonie à Saint-Gabriel, la confirmation, la communion, quelque chose dans ce genre, mais Maureez n’en faisait pas partie. Son père ne lui avait jamais parlé de religion, il ne s’intéressait pas à ces choses-là… Il avait seulement avec lui une pièce d’or, une jolie pièce qui brillait, et qu’il portait dans sa poche quand il allait en mer, pour être protégé…[/bt_quote]

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