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Alma : J.M.G. Le Clézio, revoir Maurice…

  • Écrit par : Serge Bressan

Le ClézioPar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Voici le livre des racines, de l’insularité, les temps modernes. Le nouveau roman de J.M.G Le Clézio, prix Nobel de littérature 2008, est titré « Alma Â»- comme le prénom de son épouse, comme aussi le nom de la propriété familiale où il a grandi en l’île Maurice, dans l’océan Indien… Depuis les premières années 1960, Le Clézio promène une sorte de nonchalance admirable dans les lettres française. Il est né à Nice en 1940, il a la double nationalité : française et mauricienne. Il est voyageur, a fait étape au Mexique, ces temps-ci s’est posé en Chine. L’homme, discret, s’intéresse avec passion aux civilisations premières et, à l’exemple du grand poète mauricien Jean Fanchette (auteur, entre autres, de « L’île équinoxe Â»), il se plait à confier : « Je suis ici mais je ne suis pas d’ici Â».

Et c’est bien cette île Maurice qui habite « Alma Â», le roman des racines. Et c’est bien cette île Maurice qui inspire tant et tant J.M.G. Le Clézio… Deux personnages emplissent les pages d’Alma : Jérémie Felsen (le double fictif de J.M.G. Le Clézio ?) qui, de Paris, revient à Maurice, et Dominique, dit Dodo, qui va quitter l’île pour débarquer dans la capitale française. L’auteur dit avoir eu idée de ce livre qu’il a porté au plus profond de lui-même pendant une trentaine d’années, en consultant des archives et un livre où étaient déroulés les noms d’esclaves- on lit : « Les noms apparaissent, disparaissent, ils forment au-dessus de moi une voûte sonore, ils me disent quelque chose, ils m'appellent, et je voudrais les reconnaître, un par un, mais seule une poignée me parvient, quelques syllabes dérisoires, arrachées aux pages des vieux bouquins et aux dalles des cimetières. Ils sont la poussière cosmique qui recouvre ma peau, saupoudre mes cheveux, aucun souffle ne peut m'en défaire Â».  
A d’autres pages, on lit aussi : « Dans le jardin de la Maison Blanche le soleil d'hiver passe sur mon visage, bientôt le soleil va s'éteindre, chaque soir le ciel devient jaune d'or. Je suis dans mon île, ce n'est pas l'île des méchants, les Armando, Robinet de Bosses, Escalier, ce n'est pas l'île de Missié Kestrel ou Missié Zan, Missié Hanson, Monique ou Véronique, c'est Alma, mon Alma, Alma des champs et des ruisseaux, des mares et des bois noirs, Alma dans mon cÅ“ur, Alma dans mon ventre. Tout le monde peut mourir, pikni, mais pas toi, Artémisia, pas toi. Je reste immobile dans le soleil d'or, les yeux levés vers l'intérieur de ma tête puisque je ne peux pas dormir, un jour mon âme va partir par un trou dans ma tête, pour aller au ciel où sont les étoiles Â». « Alma Â», c’est le livre de deux histoires croisées. Celle de Jérémie Felsen- lui qui revient sur l’île parce qu’il cherche encore et encore le « Raphus cucullatus Â», connu sous le nom d’« oiseau de nausée Â», le fameux dodo mauricien jadis exterminé par les humains. Celle de Dominique, qu’on surnomme Dodo- lui le « hobo Â», le vagabond, le clochard qui semble être né pour faire rire et qui, à Paris, sera le roi des clochards… Tous deux ont un lieu commun : Alma. Ce fut hier le domaine de la famille Felsen, au temps d’une île Maurice devenue aujourd’hui Maya, la terre des illusions.
Constante chez J.M.G. Le Clézio : la présence de tant et tant d’autres personnages. Tous émouvants, tendres, doux, haut en couleurs… On songe à Artemisia, la vieille conteuse dont la cabane sera anéantie par les bulldozers venus raser le domaine Alma. On songe aussi avec tendresse à Krystal, adolescente « dont le corps est, explique l’auteur, la proie rêvée des touristes pédophiles Â». On songe également à ces ultimes descendantes d’une tribu en voie d’extinction, Tobie la « Surcouve » ou Emmeline- J.M.G. Le Clézio, encore : « Elles ne possèdent plus rien que leurs souvenirs… Â»
Dans ce grand roman qui, en creux, est empli d’une question fondamentale : l’insularité est-elle un handicap ?, l’auteur offre une belle leçon d’écriture. Un roman de J.M.G. Le Clézio ne peut pas plaire, évidemment, à ces lecteurs professionnels appointés par un journal plus que jamais pressé. Un roman de J.M.G. Le Clézio se savoure, son écriture délicieusement sèche, follement aride demande du temps et de l’attention, provoque l’insécurité et l’incertitude. Lire « Alma Â», ça se mérite- mais alors, que le plaisir est doux et tendre, enivrant et beau !

Alma
Auteur : J.M.G. Le Clézio
Editions : Gallimard
Parution : 5 octobre 2017
Prix : 21 €


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