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La métallo : la femme aux bras d'homme

  • Écrit par : Valérie Morice

la militantePar Valérie Morice - Lagrandeparade.fr/ Yvonnick Le Bihan, « La » Métallo (car il n'existe pas de féminisation pour ce corps de métier) aurait pu avoir un destin tout autre que celui d'ouvrière, si elle n'avait pas croisé celui de Julien, ouvrier lui-même aux forges de Basse-Indre.

Elle se destinait au métier de sténographe. A peine fiancée, la voici qui apprend qu'elle va accoucher et être mère au moment où les premières contractions se font ressentir. A cette époque le déni de grossesse ne faisait pas partie du « folklore ». Elle accueille cependant cet enfant avec amour et le chérira jusqu'à sa mort prématurée. Comme pour ajouter un peu plus de dureté à la vie qui l'attend, cet enfant nait trisomique, « zozomique » comme certains disent, et Julien, son grand amour et père de Mairobin, meurt écrasé sur la route, moins d'un an plus tard, renversé par une camionnette.

Yvonnick se voit alors proposer le poste de son défunt fiancé, qui consiste à soulever des plaques de métal de plusieurs dizaines de kilos, poste qu'elle accepte sans rechigner malgré les avertissements (« n'y vas pas, tu ne sais pas ce que c'est de travailler à la chaine »). Sans en être physiquement pourvue, Yvonnick a des couilles (« je n'ai pas de couilles, mais j'ai la place pour en avoir »), une voix qui porte (« ma voix de bonhomme impressionne ») et c'est petit à petit qu'elle se fera respecter par le monde des hommes, après avoir essuyé plusieurs humiliations dont elle se relèvera avec courage, n'hésitant pas à utiliser ses poings pour boxer si besoin.

Les mots sont durs dans le milieu ouvrier, on ne se fait pas de cadeau, ni les ouvriers entre eux et encore moins aux femmes qui sont sous payées par rapport aux hommes (« on nous a menti, les hommes gagneront toujours plus que les femmes »). Yvonnick est une femme passionnée, passionnée par son amour pour Georges, le médecin local qui prend soin de son fils comme s'il était le sien... et qui reconnaîtra le second qui n'est pas de lui mais de Dominik, son troisième amour, un Allemand qui travaille aussi à l'usine (qui la trahira en lui cachant sa double vie et un secret grassement gardé). Passionnée par son travail qui, malgré sa dureté, lui manquera lorsqu'elle partira en congé pour suivre le Tour de France, ce qui l'ennuiera rapidement. Passionnée par un catalogue d'outillage (Manufrance) qui deviendra son livre de chevet et qu'elle n'aura de cesse de consulter. S'ensuivront les grèves, la fermeture de l'usine, les licenciements, la fin d'un monde, la fin d'une époque. Le béton remplacera la terre, les maisons en bois, un paysage... C'est la fin d'une époque, l'émergence des hippies, la crise du pétrole, la crise tout court. Les hommes se meurent d'avoir eu un métier éprouvant, s'ils atteignent l'âge de la retraite, ils feront partie des chanceux.

Quand on lit ce roman de Catherine Ecole-Boivin, même si l'on n'est pas Nantais, on s'y projette dès les premières lignes, car ce sont des lieux qui nous parlent. Ça pourrait se passer dans le Forez, à Saint-Etienne, l'ancien siège de Manufrance, ou dans la vallée de la Fensch, en Moselle. Subsistent encore à Couëron Le Haut, en Loire-Atlantique, les vestiges des habitations en pierre qui étaient destinés aux ouvriers étrangers et notamment Polonais. Les usines de Basse-Indre se dressent toujours avec fierté et, par beau temps, vous pouvez encore apercevoir du haut du pont de Cheviré, ou en prenant le bac en bord de Loire, les cheminées bleues et blanches d'ArcellorMittal qui a racheté en 2018 J.J Carnaud et forges de Basse-Indre.

Ce roman se vit en même temps qu'on le lit. Car on se prend rapidement d'affection pour les compagnons de fortune d'Yvonnick, dont les surnoms tant explicites pourraient prêter à sourire s'ils ne cachaient pas pour certains des instants de vie plutôt malheureux : Bibite, le Cerceuil, le Couillu, Bite d'Or, le Collabo, Gratte-ciel, Bigorneau... On aime aussi cette femme qui défend la cause des femmes, revendique le droit au bonheur, à la liberté, fait peu cas des qu'en dira-t-on ... Une « Dame de Fer » (« je suis une femme aux bras épais. Aux bras terribles. Une femme aux bras d'or » ; « J'ai cuisiné le chagrin. J'ai fait de la solitude, jusqu'à la date limite de consommation, jusqu'à l'indigestion. Dorénavant, je fabrique du bonheur »). A la lecture de ce roman populaire, ne vous étonnez pas si en arrière fond, une musique entraînante, entêtante s'empare de vous, une réminiscence d'un vieux morceau de Tri Yann, à la gloire des filles des forges, qui courent les bals et « les jolis garçons qu'ont du poil au menton »...

Inspiré d'un authentique témoignage, le destin d'Yvonnick fait revivre un monde aujourd'hui disparu. De l'apogée de l'industrie française dans les années 50 à son déclin en 1980, Catherine Ecole-Boivin trace, dans ce roman, une vie peuplée d'étincelles, le portrait empreint d'humanité du monde ouvrier. Car, cette fierté, menacée dès 1968, se rompt au fil du temps, avec la mondialisation : les notions de rentabilité, de courbes et de tableaux de chiffres ont chassé le concept d'un combat (ouvrier) pour une vie meilleure.

La Métallo
Editions : Albin Michel
Auteure : Catherine Ecole-Boivin
336 pages
Prix : 19, 50 €

 


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