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« La Plaine » : Rap, pizzas et bande organisée

  • Écrit par : Guillaume Chérel

la plaine Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ « Quand la fiction invite la réalité, c’est pour mieux te manger », dit un proverbe. En bon marseillais, pur jus (de tomate), Pascal Escobar est un passionné de pizzas, et plus particulièrement des camions du même nom que l’on trouve aux quatre coins de la cité phocéenne (il pourrait publier un guide culinaire sur le sujet).

C’est l’une des thématiques de son deuxième polar, titré simplement « La Plaine » (le premier était intitulé : « La Belle de Mai », du nom du quartier le plus pauvre de la ville de Marseille, et évoquait, entre autres, la population comorienne d’une cité nommée Félix-Pyat).

Or donc, à la Plaine, qui jouxte le Cours Julien (dit « Cour’ju » pour les initiés), symbole de la mixité à la marseillaise (s’y côtoient jeunes, vieux, bobos, clodos, minots, clandos, intermittents du spectacle, ex-punks, néo-rappeurs, taggueurs, chiens, chats, rats, fêtards, fumeurs de pétard, « bièreux », etc), un mystérieux individu a lancé une grenade lacrymogène dans une des sacro-saints camions de pizza, si chers aux marseillais. Il n’en faut pas plus pour convaincre le détective Stanislas Carrera (comme la Porsche), ex-travailleur social, d’accepter la proposition de « l’Entente » - l’association qui régule le juteux marché de la part de pizza -, de se mettre sur sa piste. Au même moment, Esmeraldo Platinium, rappeur n° 1 en France (mix de de Jul et de Soprano), originaire de ce même quartier de la Plaine, reçoit des menaces de mort pour le dissuader de donner son concert événement au stade Vélodrome (le sommet, en terme de notoriété, et dans la perspective des revenus générés).

Stanislas est secondé par son cousin, et associé, « Fruits Légumes » (son surnom, parce qu’il gère des supérettes) gaulé comme Bud Spencer, l’acolyte de Terrence Hill. Les deux enquêtes conjointes vont le plonger dans le marigot du bizness généré par le rap, genre musical populaire devenu une machine à cash, jalousé et lorgné depuis dix ans, au moins, par le nouveau « milieu » marseillais », issu du narcotrafic dans les quartiers Nord et ailleurs. C’est d’actualité. Un livre d’enquête vient de paraitre sur le sujet. Les affaires (règlements de compte, racket, etc) remontent peu à peu.

Le moins que l’on puisse dire est que Pascal Escobar (51 ans) connait bien la ville où il est né (quartier Saint-Henri, pas loin des fameux quartiers Nord et de l’Estaque). Il nous la décrit par le menu, rue par rue. Ancien footeux amateur (allez l’OM !), cet ancien guitariste de punk-rock, connait également les coulisses de l’organisation des concerts. Pas étonnant que son éditeur, « Le Mot et le reste », spécialisé dans le rock, le publie. Ils étaient fait pour travailler ensemble. Les deux ont autant de talent que de mordant. Pour le ton, le style d’écriture, n’allez pas le bassiner avec la trilogie marseillaise d’Izzo (Jean-Claude, qui n’a rien demandé… Son truc, c’était la poésie), mais plutôt du côté du modèle de ce dernier, j’ai nommé le catalan Manuel Vazquez Montalban, grand amateur de bonne bouffe et de traits d’humour (noir), qui savait aborder la question politique, et sociale, l’air de-ne-pas-y-toucher.

Un roman noir, couleur anarco-no-Future, de Pascal Escobar, malgré un nom pareil, ça se déguste paisiblement, en savourant les dialogues, entre deux apéros, après un bon repas, comme ce fut le cas avec le « maître » (l’auteur barcelonnais, pas le trafiquant de cocaïne colombien). Stanislas, en bon marseillais, est un néo-détective qui sait prendre le temps de vivre, comme celui de continuer à courtiser sa compagne, et de poursuivre, comme il peut, l’éducation de son adolescente de fille. C’est un macho, à sudistes, mais féministe, LGBTQ+ friendly. Antiraciste et progressiste mais pas encarté. C’est un justicier solitaire, mais altruiste, très famille et bande de potes. En le lisant, on pense aussi à Andrea Camilleri, l’auteur sicilien, et à Leonardo Padura, le cubain, au sens où l’intrique du roman n’est qu’un prétexte à dresser le portrait d’une ville, d’une société basée sur les rapports de force. Où les vrais « bandits » ne sont pas toujours ceux que l’on désigne du doigt dans les médias, oubliant la lune cachée derrière les montagnes d’ordures en tout genre.

Le « rosebud » littéraire de Pascal Escobar, c’est Marseille. Son parler, son phrasé. Plus que sa lumière, son soleil et la mer. Bref, le côté carte postale vendu et revendu. Il décrit un Marseille en hiver, pendant les fêtes de fin d‘année. Où, quand fait froid, la meilleure manière de se réchauffer est de s’unir afin d’affronter l’adversité (le détective réussit le tour de force de former une équipe on en peut plus hétéroclite pour arrêter le terroriste des camions à pizza). Pas de collines à la Pagnol, et Giono, ni de calanques, ici. Il est question de la ville, d’urbanité… si l’on peut dire. Car les dialogues, et les rapports humains, sont bruts de décoffrage, que ce soit dans le monde du rap, ou de la pizza. Pas le temps de tergiverser, pinailler. Ça envoie du lourd. Il faut savoir encaisser. Ou pas. Depuis que Louis XIV a dirigé les canons de la citadelle du Fort Saint-Nicolas en direction du peuple – et non vers les éventuels agresseurs venus de la mer - , les marseillais sont des rebelles. Ils ont ça dans le sang. Chaud-bouillant.

Pascal Escobar est une des nouvelles voix à suivre de la scène littéraire de Massilia (sound system…). Son troisième opus s’intitulera « La Pointe Rouge » (du nom d’un autre quartier de la ville, dans le 8e, cette fois). Rappelons qu’il y a seize arrondissements dans la deuxième ville de France. On est impatient de lire la suite des aventures de l’ex-punk détective, et de son cousin « Fruits et légumes ». Quelle que soit la saison, il y en a pour quelques belles années en perspective.

La Plaine 
Editions : Le Mot et le reste
Auteur : Pascal Escobar
260 pages 
Prix : 22 €
Parution : octiobre 2025


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