Gallimard : le retour de la Noire dans le monde du polar
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Depuis mars dernier « La Noire » est de retour chez Gallimard. Crée par Patrick Raynal, en 1992, alors qu'il dirigeait la collection Série noire, elle fut abandonnée par Aurélien Masson, au milieu des années 2000, parti depuis sous d'autres cieux. Cette collection est destinée à un lectorat « plus éclectique, préoccupé d'une esthétique avant de l'être d'une thématique », a déclaré Antoine Gallimard. Autrement dit plus « littéraire »... La Noire publiera cinq ouvrages par an ; en reste donc deux pour 2019. Dirigée par Marie-Caroline Aubert (ancienne directrice de la collection étrangère des éditions du Masque et de la collection Seuil/policiers), sous l'égide de Stéphanie Delestré (première femme à diriger la célèbre Série Noire), elle (re)démarre fort avec Un silence brutal, de Ron Rash, qui évoque un monde en train de s'effacer pour laisser la place à un autre.
Marie Caroline Aubert porte une attention toute particulière à la traduction : « Le choix d'un bon traducteur est indispensable ». Pour exemple, celle de Ron Rash par Isabelle Reinharez : « Cet auteur avait commencé par faire de la poésie, il me fallait quelqu'un qui épouse la sonorité et le rythme de ses phrases » explique-t-elle. Les deux autres titres appartiennent à des écrivains disparus : Stoneburner de William Gay, traduit par Jean-Paul Gratias, et Nadine Mouque d'Hervé Prudon. William Gay, maître du southern gothic (La Mort au crépuscule) avait laissé ce roman dans un tiroir parce qu'il trouvait qu'il ressemblait à No country for old men de son ami McCarthy (adapté au cinéma par les frères Cohen). Pas d'enquête classique, ni sempiternel serial-killer, encore moins de suspense formaté, façon thriller, chez ces deux auteurs de romans noirs. Même s'il y a davantage d'action et de mouvement chez William Gay. Quant à Ron Rash, qui sera l'invité d'honneur du salon de Saint-Maur-en-poche (les 15 et 16 juin prochains), il a parfois tendance à se regarder écrire, mais s'intéresse avant tout à tout ce qui vit autour de l'intrigue : les sensations, l'ambiance, la psychologie, l'immuable, les pierres, les gens, les vies, la campagne, la montagne, la nature, un peu comme chez Jim Harrison. Signalons que la parution simultanée en Folio poche d'Un Pied au paradis, du même Rash.
Traduit par Jean-Paul Gratias (également traducteur de James Ellroy), le roman de William Gay (Stoneburner) raconte le retour fracassé du Vietnam, en 1974, de Stoneburner et Thibodeaux. Le premier est détective privé et rêve de se la couler douce au bord du fleuve. Il accepte de retrouver l'argent d'un deal de coke qui a capoté pour le compte de Cap Holder, ex-shérif et vieux débauché cynique. Pour le même prix, Stoneburner pourrait éventuellement lui ramener la blonde et sulfureuse Cathy (on se croirait chez James Crumley). Mais Thibodeaux a également repéré la belle, ainsi que la valise pleine de billets verts déposée dans une voiture, la nuit, près d'une piste d'atterrissage désaffectée. S'ensuit une cavale de la blonde et du camé à bord d'une Cadillac noire, comme un morceau de bravoure. Étourdis par tant d'argent, ils ne cherchent même pas à brouiller leur piste, entre Tennessee, Mississippi et Arkansas. S'y engouffrent, l'un après l'autre, Stoneburner et un baron de la drogue local, furieux d'avoir été roulé. L'humour féroce et la noirceur poétique de William Gay font mouche. Du même auteur, en poche, chez Folio policier : La mort du crépuscule. Enfin, Nadine Mouque, d'Hervé Prudon (mort en 2017), avait été publié, de son vivant... en Série Noire (version poche).
En grand format, Marin Ledun, qui s'est spécialisé dans le roman noir engagé, publie La Vie en rose (en parallèle des forces de police, Rose enquête sur l'assassinat de l'ex-petit ami puis du meilleur ami de sa sœur, Camille, laquelle disparait également). Et Chantal Pelletier, avec Nos derniers festins, nous propose un drôle de polar « gastronomique ». Dans un futur pas si lointain (2044), nos assiettes sont sous haute surveillance et nos plaisirs de table passés au crible pour traquer les excès. Une dystopie culinaire où se mêlent règlements de comptes, en Provence écrasée de chaleur, entre dealers de foie gras, trafiquants de fromages au lait cru et restaurateur clandestin. Ferdinand, contrôleur alimentaire, débarque sur les terres de Lou, patronne de restaurant gastronomique, passionnée par la cuisine, à en perdre la raison. Bref, Série Noire classique, ou La Noire, ça reste du noir... Faites votre choix.
Stoneburner
Editions : La Noire
Auteur : William Gay
Traduction: Jean-Paul Gratias
384 pages
Un silence brutal
Editions : La Noire
Auteur: Ron Rash
Traduction: Isabelle Reinharez
272 pages
Nadine Mouque
Editions : La Noire
Auteur : Hervé Prudon
176 pages
Nos derniers festins
Editions : Série Noire Gallimard
Auteure : Chantal Pelletier
La vie en rose
Editions : Série Noire Gallimard
Auteur : Marin Ledun,
Prix : 19 € en moyenne.
Retrouvez Guillaume Chérel sur son site d'auteur:
www.guillaume-cherel.fr /