La Guerre n’a pas un visage de femme : un théâtre documentaire essentiel et bouleversant
- Écrit par : Romain Rougé
Par Romain Rougé- Lagrandeparade.com/ À Montpellier, La Guerre n’a pas un visage de femme a magistralement ouvert le Printemps des Comédiens. Avec cette adaptation éloquente de l’ouvrage de Svetlana Alexievitch (Prix Nobel de littérature 2015), Julie Deliquet (à la tête du TGP – CDN de Saint-Denis) met en scène des récits de femmes qui sont montées au front lors de la seconde Guerre mondiale.
« L’humanité a connu plus de 3000 guerres et elles ont été uniquement racontées du point de vue des hommes. » C’est sur ce constat, aussi affligeant que factuel, que s’ouvre la pièce pour souligner l’importance de changer de paradigme en s’intéressant aux femmes, à ce qu’elles ont fait et vécu en temps de guerre.
En privilégiant le matériau humain (et féminin) plutôt que le récit victorieux (et viril), on nous immerge ici dans un passionnant et bouleversant théâtre documentaire : recueil de la parole féminine (accentuant au passage l’importance et la puissance du témoignage) puis focalisation sur l’aspect mémoriel, sur l’héritage et l’invisibilisation de ces femmes dans les livres d’histoire, leur déconsidération par l’Armée, alors même qu’un million d’entre elles s’étaient engagées dans le conflit...
En résulte un récit poignant, révoltant, nécessaire, qui n’a pas peur d’aborder les réalités organiques passées sous silence (« la moitié de l’Humanité qui a libéré le pays a ses règles ! » lancera une des femmes), qui dépeint une réalité de corps abîmés devenus des « immenses hématomes » ou l’évidence d’un mental qui encaisse pour éviter de sombrer.
Autre révélation, pour beaucoup de ces femmes, partir au front était « un choix délibéré ». Pour entrer en résistance ou simplement par envie de « se barrer de chez soi », elles sont devenues pilote, chargée d’observation, brancardière et même tireuse d’élite « alors que je n’arrive pas à tenir une aiguille ! », racontera l’une d’elle. Évoluant dans tous les corps de l’armée, elles étaient aussi et surtout dans tous les interstices de l’horreur, notamment au cœur des abominables crimes de guerre « perpétrés par les deux côtés », incluant viols et autres tortures décrites jusqu’à donner la nausée...
Si pour ces héroïnes inaudibles la vue du premier tué est forcément un point de bascule, il a fallu « s’habituer » avec la promesse d’un futur définitivement brisé. « À la vue d’un mort, je pouvais ressentir de la faim, pas de la pitié. C’est après qu’on sombre dans la folie, quand tout le monde s’est réjoui de la fin de la guerre. » Car parallèlement, les témoins replacent le conflit dans un contexte de terreur stalinienne avant, pendant et après la guerre, celui où être dans la « ligne de barrage » signifiait se tenir au dos de la première ligne « pour tuer ceux qui reculaient », celui où l’Holodomor avait déjà affamé l’Ukraine…
Loin d’être un empilement de faits, d’affirmations et de jugements hâtifs, les personnages s’interrogent et questionnent l’engagement, le rapport à la haine, le désir de tuer comme moteur, le traitement médiatique du seul point de vue occidental, soviétique ou masculin…
La Guerre n’a pas un visage de femme replace ainsi l’humain au centre du récit pour mettre en scène l’expérience, le ressenti et nous inviter à prendre le chemin de la réflexion. En 2025, quelles leçons avons-nous tirer de toutes ces horreurs ? Pourquoi, par exemple, ne pas éduquer les enfants à construire la paix et retirer les jouets de guerre des magasins de jouets ? En effet, « le plus incompréhensible » et sûrement le plus facile, « c’est de continuer à se haïr. »
La Guerre n’a pas un visage de femme
D’après Svetlana Alexievitch
Mise en scène : Julie Deliquet
Avec Julie André, Astrid Bayiha, Évelyne Didi, Marina Keltchewsky, Odja Llorca, Marie Payen, Amandine Pudlo, Agnès Ramy, Blanche Ripoche, Hélène Viviès
Traduction de Galia Ackerman & Paul Lequesne
Version scénique : Julie André, Julie Deliquet, Florence Seyvos
Collaboration artistique : Pascale Fournier, Annabelle Simon
Scénographie : Julie Deliquet & Zoé Pautet
Lumière : Vyara Stefanova
Costumes : Julie Scobeltzine
Régie générale : Pascal Gallepe
Coiffures et perruques : Jean-Sébastien Merle
Assistanat aux costumes : Annamaria Di Mambro
Réalisation des costumes : Marion Duvinage
Construction du décor : Atelier du Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis
Régie plateau : Bertrand Sombsthay
Régie lumière : Sharron Printz
Régie son : Vincent Langlais
Accessoiriste : Élise Vasseur
Habillage : Nelly Geyres
Dates et lieux des représentations :
- Les 30 et 31 mai et le 1er juin 2025 au Théâtre Jean-Claude Carrière dans le cadre du Festival du Printemps des Comédiens - Montpellier
- Du 24 septembre au 17 octobre 2025 au Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis
- Les 8 et 9 janvier 2026 au Théâtre National de Nice, centre dramatique national Nice Côte d’Azur
- Les 14 et 15 janvier 2026 à MC2: Maison de la Culture de Grenoble, scène nationale
- Du 21 au 31 janvier 2026 aux Célestins, Théâtre de Lyon
- Les 4 et 5 février 2026 à la Comédie de Saint-Étienne, centre dramatique national
- Les 10 et 11 février 2026 au Théâtre de Lorient, centre dramatique national
- Du 18 au 20 février 2026 à la Comédie de Genève
- Les 25 et 26 février 2026 à Malraux, scène nationale Chambéry Savoie, Chambéry
- Du 3 au 7 mars 2026 au Théâtre Dijon Bourgogne, centre dramatique national, Dijon
- Les 11 et 12 mars 2026 à la Comédie de Caen, centre dramatique national de Normandie
- Les 18 et 19 mars 2026 au Grand R, scène nationale, La Roche-sur-Yon
- Le 27 mars 2026 à L’Archipel, scène nationale, Perpignan
- Du
31 mars au 3 avril 2026 au ThéâtredelaCité, centre dramatique national de Toulouse Occitanie
- Du 8 au 10 avril 2026 à la Comédie de Reims, centre dramatique national
- Le 14 avril 2026 à La Ferme du Buisson, scène nationale, Noisiel
- Le 17 avril 2026 à l’Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge
- Les 22 et 23 avril 2026 au Nouveau Théâtre de Besançon, centre dramatique national
- Les 28 et 29 avril 2026 à La Rose des vents, scène nationale, Lille Métropole Villeneuve d’Ascq
- Le 5 mai 2026 à l’Équinoxe, scène nationale, Châteauroux