Edition : Quand les auteurs Gonzo se rebiffent...
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ De plus en plus d’auteurs déjà publiés, et pas des moindres, lassés d’être refusés par les maisons d’édition traditionnelles (quand elles répondent), se tournent vers l’autoédition, ou le numérique (1), avec option E-book, sur tablette, et/ou version papier. Ainsi, Jean Songe (son nom d’écrivain), alias Yannick Bourg, né au début des années soixante, ex-créateur de fanzines, diplômé d’art appliqués, peintre, scénariste de BD, éditorialiste de Penthouse, auteur de romans noirs, éditeur de revues, journaliste rock et reporter d’investigation, guitariste, web activiste, traducteur, bref son équipe (lui-même), au grand complet, depuis sa « campagne » du sud de la France, vient d’annoncer la parution des trois premiers titres des Editions La Culottée.
Coups de gueules, tout d’abord, est un recueil de vingt-trois dessins (« à l'arrache », dixit mais quel talent !). Soit les autoportraits et portraits d'écrivains, d'artistes et de musiciens choisis pour leur « tronche », car ils sont le reflet de la vision déformée et paranoïaque du réel. Le gringo magnifique, du même auteur, à propos de l’auteur américain James Crumley, est le récit restauré dans son intégralité ce qu’il avait écrit pour le numéro 13 de Libération Magazine, du 14 mars 1995, lequel article avait publié une version amputée d’une moitié, essentiellement pour des motifs juridiques (« les ravages de la drogue »). Il inclut des notes inédites et des digressions qu’il ne renie pas, trente ans après. Pour l’ensemble, il « plaide coupable. C’est l’occasion de rendre hommage au pit-bull le plus drôle du roman noir US.
Extrait : "C’était un dimanche d’octobre 1994, le 30 pour être précis, le jour de mon hallucination dans le hall de réception de l’hôtel Concorde Saint-Lazare. Une baleine rose et bleue est sortie de l’ascenseur, elle semblait léviter, ses yeux transparents se vitrifiaient derrière les verres de lunettes. Dans la nuit, une explosion de pétards avait dressé les cheveux blancs sur son crâne. Les pans de sa chemise de jean délavée flottaient dans son sillage. La baleine nous a plus sentis que vus. On s’est embrassés et on a pris la route. Dans la voiture qui nous conduisait à l’aéroport de Orly-Sud, la baleine nous a dit : « Alors, les gars, c’est comme ça que vous traitez les Américains à Paris, hein ? », puis elle a ajouté : « Paris is so muuuuuuch fun ! » Sur France Info, une voix annonçait qu’un type avait tiré vingt-deux coups de feu sur la Maison Blanche. Six jours plus tôt, au saut du lit, j’étais allé chercher mes entrailles au bout de mes orteils. Le glouglou dans mes boyaux contrastait avec la douceur automnale (ça doit être ça, l’été indien) et la chute muette des feuilles, qui se ramasseront à la pelle, comme mes souvenirs. Dans la rame du métro, un joueur d’accordéon m’a fait chavirer le cœur, je devais battre le record de l’heure des palpitations cardiaques, j’allais à la rencontre d’un de mes Américains préférés, un écrivain, un vrai, un dur, un tatoué ( …)".
Enfin, D10S, du même Jean Songe, récit « baroque » sur l’argentin Maradona, grand-petit-joueur à la vie romanesque, ponctué de « dix tangos ». Extrait : « Ce jour-là sera un triste jour, un peu de magie aura disparu de la surface de la terre. Les oiseaux verseront des larmes. Il n’y aura plus de nouvelle lune. Bien des années plus tard, le ballon rond, rebond-rebond-rebondissait sur le pied gauche d’une boule de viande. L’homme surnageait dans la graisse. Il avait la silhouette d’un éléphant de mer, et une tête d’épingle. Le ballon rond rebondissait sur le pied droit, sur l’épaule droite, sur le crâne, sur le front, le ballon rond s’immobilisa sur le front. Le ballon rond et la boule de viande ne faisaient toujours qu’un. Les pieds restaient ceux d’une danseuse étoile (…).
Plus jeune, Thibaut Blondel (né en 1988), ex-espoir du foot (aux Girondins de Bordeaux), et de la littérature (« Maëlstrom Exotique », publié chez feu Léo Scheer, en 2012), passionné de vieilles bagnoles, qu’il retape, s’était déjà distingué en « Goodbye money money », chez Héracles, qui vient de recevoir le Trophée de l'Innovation Numérique 2025, un « polar-pulp » captivant, mêlant intrigue de thriller financier et enquête philosophique sur la thématique de l’argent. Il revient, avec le même détective désabusé, Frank Wings, enlevé dans un émirat du Golfe Persique, et expédié en Antarctique, dans un « territoire sans maître » : la Terra Nullius : « « J’allais quitter Terra Nullius, la terre sans maître – qui portait mal son nom dans mon cas – pour retrouver un des continents où un bon vieux dirigeant autocrate nous maintenait dans une sorte d’entre deux mous : ni tout à fait libres, ni tout à fait captifs, ni tout à fait heureux, ni tout à fait tristes, ni tout à fait vivants, ni tout à fait morts. »
Franck Wings a été choisi pour retrouver un mystérieux voleur d’œuvres d’art. Car ces tableaux sont les pièces d’un puzzle plus vaste, qui dépasse les frontières du « marché de l’art » et touche au cœur même des notions de pouvoir et de perception du réel. On l’aura compris, ça voyage non seulement géographiquement, dans des paysages désertiques, mais mentalement, autour figures énigmatiques. L’air de rien, sous couvert de légèreté, Thibaut Blondel invite à réfléchir sur la falsification, l’authenticité et la manière dont les récits façonnent l’histoire et l’identité. Bref, virtuel or not virtuel, that is the question.
Extrait : “Le visage de la vierge. Celui de la Vénus d’Urbin par Titien. La face parfaitement symétrique et rassurante teintée d’intelligence de l’homme de Vitruve par Léonard De Vinci. Le regard fou de celle qu’on surnomme la hyène de la Salpêtrière par Théodore Géricault. Celui rempli d’espoir de David peint par Le Caravage. Et d’une dizaine d’autres… Tous cahotant sous les étoiles dans la benne d’un pick-up des années 80 roulant à vive allure sur une piste poussiéreuse d’un désert nord-américain. Au loin, dans ce paysage aride et nocturne, il apercevait déjà le pas de tir scintillant depuis lequel se dressait dans un blanc VOYAGE EN TERRA NULLIUS immaculé les chandelles des propulseurs de la fusée statutaire ment pointée vers les cieux étoilés. En conduisant d’une main le coude à la portière et une clope au bec, il avait l’intime conviction que tout était sur le point de s’achever. Impossible de se retourner de toute façon. Aucun retour en arrière n’était désormais plus possible. Et pour cause, à ce moment-là, il était l’individu le plus « clivant » de la planète ; selon le terme qu’emploierait bientôt la voix-off du documentaire Netflix qu’il allait sans doute susciter ». A suivre… « Opération X »…
« Coups de gueules », dessins, 48 pages, 5 euros ; « Le gringo magnifique » (récit à propos de James Crumley), Couverture : Jean-Christophe Chauzy, 69 pages, 6 euros ; « D10S », Couverture : Jean-Christophe Chauzy, 226 pages, 10 euros, La Culottée, par Jean Songe. Et « Voyage en Terra Nullius » de Thibaut Blondel, 212 p, 22 €, Héraclès Editions.
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Pour info = Le marché de l’édition numérique, tous supports et toutes catégories éditoriales confondus, génère un chiffre d’affaires de 300 M€. Ce, dans un contexte où le chiffre d’affaires total des éditeurs sur leurs ventes de livres est en baisse. La part des ventes numériques dans le chiffre d’affaires total des éditeurs s’établit à 10,32%. Ces 283 millions € de l’édition numérique représentent bien 10,1 % du chiffre d’affaires total des éditeurs –2,796 milliards €, en légère hausse de 1,16 % du fait de ce que le prix unitaire des livres a augmenté de 2,6 % en 2023.