Menu

Lwa : les voix des sans-voix

  • Écrit par : Christian Kazandjian

lwaPar Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Lwa, témoignages à l’appui, lève une partie du voile d’une histoire coloniale qui gangrène nos rapports sociaux.

Pendant que les spectateurs s’installent, les six comédiens de Lwa disputent, palabrent. On a compris que la parole se libérant, on pourrait évoquer un passé et un présent tendu, fait de douleurs et d’espoirs. Un président de République française délivre un discours lénifiant sur fond de violences urbaines diffusées sur grand écran. Nous voici plongés dans la répression de manifestations pacifiques ou violentes qui ont agité la France récemment, et plus loin dans le temps. Dans l’histoire. Car c’est à un regard décillé que nous convoque la pièce conçue, à partir de témoignages, par Camille Bernon et Simon Bourgade. Se succèdent, dans cette forme de tribunal des peuples, Macandale nègre marron qui au XVIIIe siècle organisa, à Saint-Domingue des expéditions punitives sanglantes contre les colons planteurs, ; des acteurs traumatisés de la guerre d’Algérie, confient leur détresse à Franz Fanon, psychiatre ; puis des protagonistes évoquent le drame de 2005, qui déclencha une « révolte des banlieues », après la mort par électrocution de deux gamins poursuivis par la police ; enfin, des citoyens qui, en 2018, ont émis leurs critiques et leurs souhaits, faisant ressurgir la pratique des cahiers de doléance de 1789, à la veille de la Révolution. On le voit, Lwa relève du théâtre éminemment politique, abordant thèmes et questions qui traversent la société, s’appuyant sur l’histoire, une histoire non édulcorée, tronquée, bâtie par les vainqueurs des conflits et les puissants. Le colonialisme, sujet central de la pièce, reste un exemple frappant de cette manipulation, consciente pour le promoteur d’une geste nationale glorieuse, et largement ignorée, car occultée depuis les bancs de l’école jusqu’aux plateaux de télévision, et qui corrode encore nos imaginaire. Lwa gratte jusqu’à l’os le problème : cela peut faire mal, mais cela éclaire utilement en ces temps d’antagonismes entre citoyens, entre nations.

Une cruelle vérité

La mise en scène use des moyens modernes de communication afin d’ancrer le propos dans le réel, réel transcendé par des films d’archives, non de ces images inondant les écrans des téléviseurs jusqu’à la nausée conduisant à l’indifférence, mais de celles qui prennent signification, étant soulignées par la vivifiante présence des comédiens : force du théâtre. Le récit de l’esclave marron, évoque les « lwa » de la religion vaudou exportée d’Afrique aux Antilles par les esclaves. Hérissé d’horreurs et de massacres, il commence dans l’ombre -a peine distingue-t-on le visage-, puis peu à peu la lumière laisse apparaître le corps, de dos, puis l’homme fait face au public, au monde : il est entravé, puis libéré, comme cette parole qui enfin se fait entendre, dans toute sa crudité, dans toute sa vérité, à laquelle succéderont d’autres paroles d’opprimés, d’autres témoignages de victimes du racisme, des préjugés liés aux origines, mais également aux quartiers d’habitation. Les six comédiens, en « costumes » de jeunes d’aujourd’hui, manient l’humour à l’occasion, endossent, avec justesse et conviction, les différents rôles, en une ronde parfois frénétique, dans un environnement mêlant images sur écran, capharnaüm d’objets, slogans tagués, enrichissant le propos. Un spectacle des plus utiles, nourrissant la réflexion sur notre histoire commune, de nos trajectoires communes, en ces temps troublés. Une pièce qui ne trahit cependant pas les codes du théâtre, le plaisir du spectateur, mais les exalte.

Lwa
D’après des récits d’esclaves, les écrits de Frantz Fanon, Delta Charlie Delta de Michel Simonot, et les Cahiers de doléances recueillis par le Collectif ACLEFEU
Conception et mise en scène  : Camille Bernon et Simon Bourgade
Collaboration artistique et jeu : Salomé Ayache, Naïs El Fassi, Ahmed Hammadi Chassin, Benedicte Mbemba, Souleymane Sylla, Jackee Toto

Dates et lieux des représentations:

- jusqu’au 3 décembre 2022 au Théâtre Paris-Villette, Paris 19e (01.40.03.72.23.)

 

 


À propos

Les Categories

Les bonus de Monsieur Loyal