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Children of Nowhere : une rencontre poétique et émouvante avec les fantômes de Chacabuco

  • Écrit par : Julie Cadilhac

Children of nowherePar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Chacabuco, une ancienne cité minière en plein désert d'Atacama, au Chili, est aujourd'hui une ville fantôme dont on ne vient fouler le sol que pour affronter le passé et en découdre avec l'histoire. En effet, entre 1973 et 1974, Chacabuco a accueilli 1800 prisonniers politiques, après le coup d'état de Pinochet, et s'est transformé en camp de concentration. Un fait historique qui se résume en trois petites lignes sur les panneaux de la visite de l'ancienne mine, reflet d'un pays "au régime libéral poussif qui ne laisse aucune place aux questions identitaires, en prétextant se tourner vers l'avenir". Fabrice Murgia a eu envie, lui, de se tourner vers le passé et d'ouvrir la parole aux témoins encore vivants de cette Histoire.

Sur scène, un plateau recouvert de sable : ce sable qui aveugle l'être prisonnier qui sort de la cale obscure du bateau qui l'amène à Chacabuco. Un quatuor de violoncelles qui accompagne avec dextérité - et une composition musicale originale - cette pièce synesthésique. Une chanteuse lyrique, Lore Binon, dont la voix est un onguent réparateur, un gémissement sublimé, une métaphore éthérée qui s'immisce entre les témoignages filmés, les vidéos à la texture onirique qui font ressurgir l'enfance et l'insouciance et la parole de l'extraordinaire comédienne Viviane de Muynck à la voix rocailleuse, enveloppante et familière. Cette dernière est là, sur le plateau. Présence physique qui s'imprime même au sein des projections, semble s'y intégrer. Tantôt narratrice de cette histoire inacceptable , tantôt témoin silencieux devant l'écran. Mise en abime de nous-mêmes qui contemplons ces lieux abandonnés et ensablés d'un passé qu'on veut taire.
Fabrice Murgia ne montre pas l'horreur. " Juste du manque". Il donne à voir des visages et laisse le spectateur lire les cicatrices de leur sourire et de leur regard. Il laisse s'exprimer des êtres qui ne sont pas haineux, davantage atterrés par cette barbarie dont ils ont été les victimes. Sa pudeur est aussi élégante que pertinente et son texte exsude d'une poésie et d'une justesse épatantes. Ainsi l'on est accroché aux lèvres de cette comédienne émouvante qui nous confie comment l'adulte, un jour, "marchera dans le désert à la recherche d'une partie de lui-même." Les mots de cette pièce ont l'éloquence de la nuit "muette et constellée", une sensibilité délicate, une maturité étonnante et sont empreints d'une humanité qui fait du bien. Dans la salle, forcément, "personne ne parle... mais on s'entend penser."
Fabrice Murgia met en lumière des destinées singulières pour parvenir à l'universel. Il livre une autopsie bouleversante, parce que formulée sans effets excessifs, de tout être victime d'un régime totalitaire : de l'arrestation à l'internement, de la libération à la vie qui doit reprendre ses droits. Certains rescapés expliquent, par exemple, comment, dans le camp, " peu à peu, la vie se réinvente", comment "on recrée la liberté entre les murs", comment on réimagine une communauté où se forment même une université et un théâtre, "la condition de la civilisation". Et l'on entend bien qu'il faut du temps pour déterrer son passé :"Et tu comprends que le chemin sera long" , " Tu devras revenir des années plus tard pour que les fantômes du passé ressurgissent."
Qui suis-je? Voila la question que se posent ces hommes que l'on a arraché, un matin ou un soir, à leur famille arbitrairement. Beaucoup ayant quitté le Chili aujourd'hui ont le sentiment d'avoir une famille " éparpillée sur la planète", d'être des hommes sans pays. "Le temps n'a mis qu'une fine couche de sable" sur les blessures et les cicatrices sont encore là, à vif. La résilience est engagée mais n'apporte pas de réparation miraculeuse. Pourtant la vie est là, elle aussi, palpitante encore, dans un éclat de rire au téléphone lorsque l'on retrouve un camarade de cellule, dans la présence d'un gardien qui vit seul à Chacabuco, avec ses deux chiens, pour accueillir les visiteurs...ou encore dans le superbe poème de Pablo Neruda qui clôture cette pièce d'une sensibilité d'orfèvre. La vie, c'est avant tout " un peu de lumière et un public pour recevoir l'histoire", confie un interviewé chilien. Fabrice Murgia en réussit une démonstration...lumineuse!

[bt_quote style="default" width="0"]La mémoire est vive et l'émotion déforme les récits[/bt_quote]

Childrens of Nowhere ( Ghost Road 2)

De : Fabrice Murgia
& Dominique Pauwels, Cie Artara / LOD muziektheater

Avec : Viviane De Muynck
Texte et mise en scène : Fabrice Murgia
Composition musicale et installation sonore : Dominique Pauwels
Chanteuse : Lore Binon
Quatuor de violoncelles : Aton’ & Armide collective
Assistanat à la mise en scène et traduction : Rocio Troc
Réalisation des images : Jean-François Ravagnan
Création vidéo : Giacinto Caponio et Jean-François Ravagnan
Création lumière : Enrico Bagnoli
Création costumes : Marie-Hélène Balau
Arrangements musique électronique : Maarten Craeynest
Recherches : Vincent Hennebicq et Virginie Demilier
Avec la complicité de : Daniel Cordova
Régie générale et plateau : Matthieu Kaempfer
Régie son : Marc Combas
Régie vidéo : Dimitri Petrovic
Régie lumière : Kurt Bethuyne
Réalisation costumes : Atelier de costumes du Théâtre National-Bruxelles
Production : Cie Artara & LOD muziektheater
Coproduction : manège.mons et la Fondation Mons 2015 - Capitale européenne de la Culture / Théâtre National, Bruxelles / Maillon, Théâtre de Strasbourg – Scène européenne / Théâtre de Namur / Festival Perspectives, Saarbrücken / Théâtre Jean-Vilar, Vitry-sur-Seine

Photos@Elisabeth Woronoff

Dates des représentations:

Création du 10 au 13 janvier 2016 au Festival Santiago a Mil - Chili

- du 21 au 23 janvier 2016 au Théâtre du Jeu de Paume - Aix-en-Provence
- du 29 janvier au 6 février au Théâtre National - Bruxelles ( BE)
- Les 12 et 13 février 2016 au Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine
- Le 16 février 2016 au Cultuurcentrum de Bruges ( BE)
- Les 23 et 24 février 2016 au Théâtre de Namur ( BE)
- Du 2 au 4 mars 2016 au Maillon à Strasbourg
- Les 8 et 9 mars 2016 au NTGent à Gand ( BE)
- Les 22 et 23 mars 2016 au TU de Nantes
- Le 25 mars 2016 à la Scène Nationale de Saint-Nazaire
- Le 6 avril 2016 au Rotterdamse schouwburg à Rotterdam ( NL)

- Le 29 septembre 2016 - Limoges (FR) – Les Francophonies en Limousin 

- Le 29 octobre 2016 - Girona (ES) – Festival Temporada Alta 

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