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Les liaisons dangereuses : une pièce délicieusement féministe avec Dominique Blanc

  • Écrit par : Julie Cadilhac

Dominique BlancPar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Valmont-Merteuil : un duellum d’amants libertins d’une terrible lucidité qui vagit, s’ébat et s’éteint au travers de la  polyphonie de correspondances croisées. Dans ce jeu pervers, les deux camps n’usent cependant pas des mêmes armes et doivent faire avec leur époque. Si l’un laisse libre cours à sa réputation d’être volage, s’en couvre même de gloire, l’autre ne peut agir qu’en tapinois, pour préserver son honneur sous des apparences de vertu. Ce duo de nobles manipulateurs s’avère donc d’une profonde contemporanéité. La pertinence des mots qu’a pu écrire Choderlos de Laclos, un homme, libertin de surcroît, sur le sexe dit faible est étonnante. On ne peut qu’en applaudir sa modernité. Tout comme au XVIIIème siècle, en 2016, l’on s’avère moins regardant en matière de moeurs pour un homme que pour une femme. Est-ce parce que l’homme se définit ontologiquement comme un chasseur et que ses spécificités anatomiques justifient son inconstance ? Madame de Rosemonde, tante du Vicomte et vieille femme pleine de sagesse qui incarne les valeurs de l'ancien régime, nous rappelle avec une désespérance résignée une vérité qui n’a pas pris une ride . “L’homme jouit du bonheur qu’il ressent, et la femme de celui qu’elle procure. Le plaisir de l’un est de satisfaire des désirs, celui de l’autre est surtout de les faire naître.” …Une réalité contre laquelle des femmes de tête se battent et que l'on préfère souvent, même aujourd’hui, dénigrer plutôt que de reconnaître le louable courage que nécessite leur liberté…
Christine Letailleur a choisi d’adapter sur les planches le roman épistolaire  en donnant à Dominique Blanc les traits de la sulfureuse Marquise et à Vincent Pérez ceux de l’insatiable et incorrigible Vicomte. Il en est né une pièce à la teneur résolument féministe et délicieusement exquise. Une pièce qui parle du rapport amoureux et de sa complexité mais surtout des femmes, de leur combat pour exister et se défendre dans une société d’hommes et de leur émotivité naturelle - qui leur dessert plus qu’elle ne les avantage - et  qu’elles doivent combattre sans cesse.  On y découvre un décor à étages, tout de sombre paré, dans lesquels sont aménagées des portes à battants et des fenêtres derrière lesquelles se joue un autre histoire, celle que l’on n’a pas laissé en mots - afin de ne augmenter davantage la longueur de la pièce -, et celle que l’on imagine se dérouler - une sorte de hors-champ-  tandis qu’une autre se trame sur le plateau.
La metteur en scène réussit d’abord le pari de faire glisser ses 2h45 comme un charme…et assurément, s’il y a le jeu prodigieusement juste de Dominique Blanc, la présence séduisante de Vincent Perez et le génie des mots de Laclos, on doit féliciter aussi le savoir-faire de Christine Letailleur qui sait doser les effets ou apporter des notes drolatiques à des atmosphères riches en tension. La pièce ménage aussi des moments de lecture où il est rendu hommage au caractère épistolaire des Liaisons dangereuses, fenêtres éclairées sur une émotion, portes entrebâillées sur une nouvelle péripétie dont on n'assiste parfois qu'aux conséquences. L’ensemble des comédiens répond avec un charme suranné à la physionomie que l’on se fait des personnages du roman ( notamment le chevalier Danceny!) et les incarne avec justesse; on arguera simplement que Vincent Pérez semble mal à l’aise lors des premières minutes sur le plateau et manque de naturel…tout s’améliore nettement lorsqu’il tombe amoureux de la Tourvel. La Présidente lui fait du bien. L’amour lui sied au jeu, plus assurément que le badinage. Face à l’éplorée Tourvel, son “On s’ennuie de tout, mon ange, c’est une loi de la nature ; ce n’est pas ma faute.” résonne avec une violence terrible tant on y sent la douleur de faire mal mais également l’amertume de n'être alors qu'une marionnette de la Merteuil, tant il excelle à jouer la lâcheté d’un homme qui préfère renoncer à être heureux plutôt que de perdre une bataille d’orgueil. Oui, l’oeil humide, Vincent Pérez nous émeut davantage et force est de constater que ses incartades érotiques sont plus excitantes face à l’idiote Cécile qu’au pied de la Merteuil. A l’aise avec la jeunesse qu’il domine, face au monstre sacré Dominique Blanc, l’acteur se révèle plus timoré…une vision personnelle et féministe, sans doute, de la metteur en scène. Si l’homme, en amour, cherche toujours à gagner, nous dit Laclos, la femme, elle, se bat simplement pour ne pas perdre. Cette différence tragique entre les deux sexes s’exprime avec une intensité troublante entre les deux comédiens…même si, dans cette bataille théâtrale, c’est incontestablement Dominique Blanc qui l’emporte….

Les liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos


Adaptation et mise en scène :  Christine Letailleur


Assistante à la mise en scène: Stéphanie Cosserat


Scénographie: Emmanuel Clolus et Christine Letailleur


Lumière: Philippe Berthomé en collaboration avec Stéphane Colin


Costumes: Thibaut  Welchlin assisté d'Irène Bernaud


Son: Manu Léonard


Assistante à la mise en scène: Stéphanie Cosserat


Avec Dominique Blanc, Vincent Pérez, Fanny Blondeau, Stéphanie Cosserat, Julie Duchaussoy, Manuel Garcie-Kilian, Guy Prévost, Karen Rencurel, Richard Sammut, Véronique Willemaers


TOURNEE
 Les Liaisons dangereuses

- Rennes, TNB du 3 au 14 novembre 2015


- Brest, le Quartz du 18 au 20 novembre 2015


- La Rochelle, la Coursive du 1er au 3 décembre 2015


- Tarbes, le Parvis les 14 et 15 décembre 2015


- Théâtre de Liège (Belgique) du 20 au 27 décembre 2015


- Théâtre National de Strasbourg du 6 au 16 janvier 2016


- Théâtre de Sète du 20 au 22 janvier 2016


- Le Mans, les Quinconces du 27 au 29 janvier 2016


- Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines du 11 au 13 février 2016


- Cergy-Pontoise, l’Apostrophe du 17 au 19 février 2016


- Modène (Italie), Emilia Romagna Teatro Fondazione les 24 et 25 février 2016


- Paris, Théâtre de la Ville du 2 au 18 mars 2016


- Théâtre National de Nice du 24 au 25 mars 2016


- Quimper, Théâtre de Cornouaille du 29 au 31 mars 2016


Crédit-photo : Brigitte Enguerand

L'interview de Christine Letailleurà lire ici : Les Liaisons dangereuses de Christine Letailleur : du romanesque au dramatique en compagnie de Dominique Blanc et Vincent Pérez


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