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Nuit gravement au salut : la femme de lettres contre l'homme de chiffres

  • Écrit par : Guillaume Chérel

nuit gravement au salutPar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Léa Belmont est une romancière qui a eu son heure de gloire. Victor Pontier un éditeur aux dents longues. Elle est idéaliste et aguichante. Il est cynique et gros sabots. Ils dînent ensemble pour parler signature de contrats et « à-valoirs » (avance sur recette). Léa a besoin d'argent pour faire opérer son fils gravement malade. Victor Pontier est prêt à la publier - donc à l'aider - si elle se donne entièrement à lui. C'est aussi simple que ça. Nuit gravement au salut, de Henri-Frédéric Blanc, peut paraître caricatural (le texte fut publié au milieu des années 90, chez Actes-Sud) mais si l'on y réfléchit bien... pas tant que ça. Autrefois, on appelait ça le droit de cuissage. Nous savons tous que ce genre de tentatives d'abus de pouvoir continue allègrement dans tous les domaines et pas seulement artistiques.

Nuit gravement au salut a le mérite d'être une piqure de rappel. Cette pièce aux limites du théâtre de boulevard épingle avec humour quelques usages qui perdurent dans le milieu littéraire parisien ; entre autres. D'un côté le vil marchand qui ne parle que de chiffres de vente, de l'autre, l'artiste qui pense créer une œuvre éternelle. Un egocentrique. Une égocentrée... Le metteur en scène, Ludovic Laroche, qui joue l'éditeur cynique, Victor Pontier, ose camper cet homme fat, nauséabond, jusqu'au grotesque, manipulateur et violent, avec ses mots. Stéphanie Bassibey est parfaite en Léa pulpeuse (elle met ses « atouts » en avant), faussement ingénue, qui joue, non pas de ses charmes, mais avec les cartes dont elle dispose, jusqu'au bout de cette partie de poker-menteur. Son orgueil est mis à mal mais que ne ferait pas une mère pour son fils ? Elle se sent coincée, résiste, se bat, se fâche, avant de céder (croit-on), telle la chèvre de Monsieur Seguin, épuisée par un combat perdu d'avance.
Cette joute verbale, autour d'une table de restaurant chic, est arbitré, rythmé, interrompu par les interventions burlesques d'un serveur improbable, expert ès escargots, interprété avec maestria par un Pierre-Michel Dudan qui semble s'amuser comme un petit fou à faire des phrases et de grands gestes drolatiques (on se croirait chez Molière, notamment avec le monologue de fin). On lui doit la respiration, voire la morale, de cette pièce, qui peut devenir étouffante, tant elle dégage de tension entre le malsain maquereau et la p... faussement oie blanche - il faut dire ce qui est - comme disait Louis-Ferdinand Céline, quand il s'opposait à Gaston Gallimard. On passe un bon moment, comme toujours au Lucernaire, qui fête ses 50 ans d'existence, tout en réfléchissant à la sortie.

Nuit gravement au salut
de Henri-Frédéric Blanc (Actes-Sud)
Adaptation : Ludovic Laroche
Avec Stéphanie Bassibey, Ludovic Laroche et Pierre-Michel Dudan

Durée : 1 h 15

Dates et lieux des représentations:

- Jusqu'au 20 octobre 2019 au Lucernaire (salle Paradis : 53, rue Notre-Dame-des-Champs – 75006 Paris). Tel : 01 45 44 57 34 / www.lucernaire.fr  du mardi au samedi, à 21 h, dimanche 17 h.


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