Afarin Sajedi : des portraits de femmes,"fortes et déterminées, survivant malgré tout ce qu’elles ont vu de leurs «yeux»"
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.com/ Afarin Sajedi est une artiste iranienne de 40 ans née à Shiraz et ayant étudié à la faculté d’Arts et d’Architecture de l’université d’Azar à Téhéran où elle réside encore aujourd'hui. Elle est diplômée en Art et Design Graphique. Depuis le début du XXIème siècle, elle a exposé de nombreuses fois à Téhéran. Sa première exposition personnelle européenne, à Rome, s’est déroulée au Palazzo Valentini pour l'exposition «Inside Her Eyes» en 2013.
En 2015, elle a été invitée par la Cité internationale des arts pour une résidence artistique de trois mois à Paris. La même année, ses œuvres ont également été présentées à une foire d'art dans la Principauté de Monaco. En 2019, à l'occasion de la Journée internationale de la femme, la galerie Dorothy Circus londonienne a présenté pour la première fois au Royaume-Uni une exposition personnelle d’Afarin Sajedi. L'exposition, intitulée ECCE MULIER, qui a couru du 8 mars au 6 avril 2019, prenait sa source dans l'analyse psychanalytique des profondeurs féminines observée d'abord par Goethe puis par Jung et reconnue comme la source du pouvoir créateur de l'inconscient. Ayant reçu une formation picturale classique et suivant un chemin expressif intimement lié au symbolisme magique et aux influences les plus contemporaines du surréalisme pop américain et du néo-pop asiatique, Sajedi y synthétisait dans les oeuvres exposées les pensées des femmes postmodernes dont les schémas émotionnels sont liés à de multiples expériences et conditions existentielles. Ses travaux offraient ainsi un passionnant portrait psychologique qui explorait tout à la fois la nature spirituelle intérieure et la coexistence de l'amour et de la force dans le mythe maternel.
Les portraits de femmes d'Afarin Sajedi sont toujours imprégnées d’émotions violentes…pourtant leur expression générale semble impassible. Seuls leurs yeux, des stigmates sur leur peau ou les accessoires qui leur servent de coiffe, de couronne, de lunettes - ou même leurs vêtements - trahissent leurs tourments profonds. Il faut prendre le temps de les regarder et percer derrière leur apparente force leur fragilité intrinsèque et le lourd passé qu'elles semblent porter. Ces fascinantes peintures se caractérisent le plus souvent par une figure centrale qui se découpe sur un fond très coloré, sur lequel se dessinent des motifs inspirés tout autant d'éléments vivants que d'objets, le tout évoquant un scénario mystique. Dans sa toute nouvelle série, exposée pour la première fois à la Scope Art Gallery de New York, l’artiste traite du thème des illusions et de l'eau. Les sujets féminins sont peints avec des pinceaux acryliques sur des toiles de très grandes dimensions et semblent immergés dans une mer profonde de silence. Chaque tableau représente les sentiments des femmes, ressentis et vécus différemment et soulignés par divers maquillages et coiffures étranges. «Les femmes m'ont souvent dit à quel point elles aiment utiliser du maquillage, car cela leur permet de porter un autre visage», explique Sajedi. Sa palette de couleurs vives cherche à vivifier les sentiments intérieurs de la femme représentée, qui résiste dans tous les rôles et toutes les situations dans lesquelles elle décide de se lancer.
Nous vous laissons en compagnie de ses paroles inspirées et engagées et de ses pinceaux...que nous sommes très honorés de diffuser sur notre site.
Pour créer les œuvres exposées dans "Ecce Mulier", je suppose que vous vous êtes d'abord demandé ce qu'était une femme pour vous. Qu’est-ce qui constitue l'essence de la femme pour Afarin Sajedi?
La femme est avant tout un être humain. Avec toutes les caractéristiques que nous connaissons, à l’intérieur et à l’extérieur. Ce n’est qu’au travers de la question de la fertilité et de la maternité qu’elle se démarque et ces deux réalités féminines peuvent parfois lui ajouter effectivement plus de complexité et de pouvoirs. À l'exception de cette exposition consacrée à la maternité, je n'avais jamais travaillé sur mes oeuvres précédentes en imaginant que les femmes avaient un statut à part au sein de l'humanité. Malheureusement, cependant, dès qu'une idée est représentée sur le portrait d'une femme, l’on associe immédiatement ce geste artistique aux problématiques des femmes; alors que la même idée brossée sur le portrait d'un homme éveillerait une question philosophique sur l’humanité.
Votre travail s'inspire-t-il des travaux psychanalytiques de Goethe et Jun comme il l’est expliqué dans la présentation de votre exposition à la Dorothy Circus Gallery?… de ces penseurs qui définissent le féminin comme source du pouvoir créateur de l'inconscient? Pensez-vous que le féminin soit l'égérie incontestée de la création?
Je connais Goethe en tant que poète. Je ne connais pas grand-chose de ses vues psychanalytiques. Je ne suis pas en désaccord toutefois avec sa vision du féminin et ses liens avec la créativité. Pour ce projet cependant, je me suis concentrée sur les complexités et les pouvoirs inhérents à la maternité.
L’idée de cette exposition était de montrer votre vision de la femme universelle contemporaine? Son visage pâle, son air mélancolique et ses joues rouge sang qui donnent une impression de masque de clown constituent une vision très singulière et ... pas très optimiste, non?
Je n'ai jamais voulu donner à mes personnages un regard pessimiste et sans espoir. J'ai aussi considéré cela dans la formulation du titre de l’exposition. Mes femmes sont fortes et déterminées, survivant malgré tout ce qu’elles ont vu de leurs «yeux».
[bt_quote style="default" width="0"]I have never wanted to give my characters a pessimistic hopeless look. I have considered this in the title of the work too. They are strong and firm, surviving despite all they have witnessed with their “eyes”. [/bt_quote]
Comment naissent vos peintures? Avez-vous des visions dans vos rêves? Êtes-vous saisie par des images de tous les jours que vous souhaitez reproduire? Ou alors vous tâtonnez à partir d'idées que vous voudriez concrétiser en images?
Je n'ai pas de vision de rêves comme celle des surréalistes classiques. Mais concernant le reste ... oui ... les images de tous les jours, les émotions, le passé font pour moi tout un monde de fantaisie dans lequel piocher. Le monde actuel est un vrai studio où puiser des images…
La femme au visage caché par un ruban de papier cadeau, pourriez-vous nous expliquer comment elle est arrivée sur la toile?
Cette femme (ou ma Marie) est une Marie dont le visage réel restera caché sous les rubans par les mêmes personnes qui ne croyaient pas en elle. Cadeaux des jours saints.
Vos femmes sont perturbantes ... Elles paraissent tout à la fois bien réelles et sortir tout droit d'une tragédie tragique shakespearienne ...et la façon dont vous les peignez, avec, pour certaines parties de leurs tenues, des aplats de couleurs vives, leur donnent de superbes airs surréalistes. Pourquoi ce mélange entre réalisme et désillusion plastique?
Elles ne sont pas censées déranger. Mais en mouvement? Pour sûr! Délibérément même! Elles sont théâtrales pour pouvoir raconter. C'est comme une scène de théâtre… J'ai toujours aimé les excentricités du théâtre ; j’ai même eu une petite expérience de pratique du théâtre!
Le poisson, symbole chrétien à double sens, apparaît plusieurs fois ... pour évoquer la matrice féminine on suppose?
Oui. Le poisson est un symbole important dans le christianisme. mais je l'utilise dans mes œuvres depuis des années. Dans mes peintures, il symbolise ce qui coule dans votre être, mais que les autres ne peuvent ni voir ni comprendre.
[bt_quote style="default" width="0"]Fish is an important symbol in Christianity; but I have been using it in my works for years. In my paintings it symbolizes what flows in your being, but others cannot see or understand it. [/bt_quote]
Les œuvres présentées dans "Ecce Mulier" s’inspirent de Shakespeare ainsi que de Miguel de Cervantes mais de représentations religieuses emblématiques... jusqu'à Tarantino et son Kill Bill, révélant ainsi votre formation classique qui se mêle aujourd'hui au surréalisme pop américain et au néo-pop asiatique. Si vous deviez citer une oeuvre classique qui parlent le mieux des femmes, laquelle choisiriez-vous? Et pourquoi?
Mon personnage préféré dans la littérature a toujours été Lady Macbeth. Bien que l’on ne mette pas beaucoup l’accent sur elle en tant que mère, elle possède la féminité la plus puissante qui soit avec son amalgame de beauté, de complexité, de cruauté et de séduction. Je préfère généralement les tragédies parce qu'ils n’y figurent pas des gens ordinaires.
Et ... une œuvre contemporaine exprimant pour vous de la meilleure manière ce qu’est une femme dans toute sa complexité?
Je ne donnerai pas un ouvrage de littérature ou un film cette fois. Je citerai une vraie personne contemporaine. Ces dernières années, j'ai lu des interviews et des biographies de l'ancienne reine iranienne, Farah Diba ; son personnage est incroyable pour moi, en tant que femme plutôt qu'en tant que reine. Elle a cette histoire avec un début, des romances et des tragédies consécutives, un couronnement, la perte du trône, l'exil, la mort de son mari, ses enfants qui se suicident... Pour moi, elle est comme un rocher debout contre les vagues, avec des yeux brillants regardant dans l'obscurité des océans. Elle est le personnage le plus fascinant de la tragédie contemporaine que je connaisse.
[bt_quote style="default" width="0"]In recent years I have been following interviews and biographies of former Iranian Queen, Farah Diba, and her character is amazing for me, as a woman rather than as a Queen. She has this story with a beginning, romance and consecutive tragedies, a coronation, losing the throne, exile, death of her husband, her children committing suicide....For me she is like a rock standing against the waves, with shining eyes gazing into the darkness of the oceans. She is the most enchanting character of contemporary tragedy that I know of. [/bt_quote]
Le site de l’artiste http://www.afarinsajedi.com/
Le site de la Dorothy Circus Gallery https://www.dorothycircusgallery.it/
Exposition: Ecce Mulier - du 8 mars au 6 avril 2019 à Londres
Les lieux:
DOROTHY CIRCUS GALLERY - London - W2 2AZ London, 35 Connaught Street
DOROTHY CIRCUS GALLERY - Rome - Via dei Pettinari - 76 00186 Roma