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Emmanuel Fornage : l'art de découper avec ses petits ciseaux une histoire...

  • Écrit par : Claude Clément

ActivitePar Claude Clément- Lagrandeparade.fr/ Né en 1963 à Troyes, en Champagne, Emmanuel Fornage est un illustrateur pas tout à fait comme les autres. En effet, là où d’autres utilisent crayons, pinceaux, peinture, encres, pastels ou logiciels, lui ne se sert que d’une simple paire de ciseaux, de façon artisanale, comme dans les traditions ancestrales suisse, japonaise ou chinoise. 

On nous prédit depuis longtemps la mort du livre de papier. Pourtant, ceux d’Emmanuel Fornage, dont le papier constitue la matière première de l’artiste, prouvent brillamment le contraire ! Et, depuis que s’est révélé en lui cette vocation, il vogue de dédicaces en expositions et de conférences en ateliers, autant en compagnie d’enfants que d’adultes. Ainsi ses découpages mènent-ils ses pas et ses ciseaux en France, en Europe et parfois même au-delà des mers …

Emmanuel Fornage, comment vous est venue la passion du découpage en matière d’illustration ? Aviez-vous auparavant utilisé d’autres techniques ? Si oui, lesquelles ?
La passion du découpage m'est venue suite à une visite des villages de Château d'Oex, Rougemont et Rossinière en Suisse en 2005. Ces trois villages, centrés dans le Pays d'Enhaut, pratiquent cette activité artisanale qu'est le découpage. C'est en visitant le «  Musée du Vieux Pays d'Enhaut  » à Château d'Oex, que je me suis pris de passion pour cette activité. A l'issue de cette visite, j'ai suivi une initiation avec Yvette Henchoz. De retour en France, j'ai travaillé durant un an, régulièrement, pour pouvoir montrer, l'année suivante, mon évolution annuelle à ma formatrice, qui m'a félicité en me conseillant de trouver un lieu d'exposition. J'ai toujours été passionné par les arts depuis ma jeunesse, mais malgré une passion pour le dessin, c'était surtout la musique qui m'attirait. J'ai donc suivi des cours au Conservatoire de Troyes où j'ai été, durant plusieurs années, bassonniste à l'Orchestre du Conservatoire. J'ai également suivi des cours de dentelle du Puy pendant quelques années. J'ai d'ailleurs gardé mon carreau et mes fuseaux. Suite à un accident de santé en 2005 qui m'avait beaucoup affaibli, je suis venu au découpage.

Dévoilez-nous un peu vos secrets… Quels sont vos instruments de prédilection ? Et qu’est-ce qui différencie votre travail d’autres types de découpages ?
Mon activité est basée sur une technique ancestrale et artisanale. Comme le dit Claude Allegri (Ancien Conservateur du Musée du Vieux Pays d'Enhaut) dans son livre « Les découpages du Pays d'Enhaut et du Saanenland » : « Le découpage est avant tout un jeu, un décor ou un acte de virtuosité pour arriver, avec les siècles, à en faire un art d'expression ». C'est un peu comme de la sculpture mais lorsqu'il y a des couleurs, c'est un rajout de matières. Ma patience et ma sensibilité à la Nature, à la condition humaine, à l'ordre du monde ainsi que ma passion pour l'Histoire et les contes ont fait le reste.
Ma particularité est que je travaille uniquement avec une paire de ciseaux tous types de papier sur des histoires nécessitant plusieurs tableaux (entre 13 et 17) donc du temps et une rigueur très importante dans la qualité et le suivi du travail. Le but est de donner dans une illustration le maximum de détails dans un minimum de place en veillant à faire tenir tous les éléments découpés ensemble en un seul tenant sans que l'on s'en aperçoive. Habitant en Champagne, j'ai très vite abandonné les montées d'alpage qui m'ont formé à cette technique pour me consacrer aux fables de La Fontaine puis aux contes.

Racontez-nous les étapes de votre travail sur un livre… Par quoi commencez-vous ?  Imaginez-vous une maquette globale ?  Songez-vous à tous les détails avant de vous mettre à découper ? Quelle est l’évolution d’une planche ?
Par une première lecture, j'essaie déjà de visualiser l'histoire, que je souhaiterais découper. En deuxième lecture, j'effectue différents croquis afin de trouver l'esthétique appropriée à mes personnages et aux décors. J'effectue des recherches sur les costumes, les habitations, les décors....J'imagine ensuite un « story board » pour l'ensemble de l'histoire à illustrer.
Tous les détails sont pensés avant la réalisation, pour donner un déroulement agréable à la lecture d'images tout au long du futur livre : Personnages, habitations, végétations, encadrement, couleurs ...Par exemple, pour les fables de J. de La Fontaine : elles ont été pensées comme un diorama. La fable située en bas créant l'événement dans une région précise avec les animaux, les habitations et des personnes en costume régional. J'explique d'ailleurs toujours dans mes préfaces la manière dont j'ai pensé et réalisé le livre.
chèvreJe passe ensuite au dessin sur papier à silhouettes (blanc d'un côté et noir de l'autre) et je dessine mon illustration au crayon. Je peux également dessiner en symétrie une frise, qui, lorsque le papier sera déplié, entourera l'ensemble du dessin central. Comme je travaille à l'envers, je dois toujours faire attention à l'arrivée des personnages par rapport aux pages précédentes.
Cette étape terminée, je découpe aux ciseaux les parties que je choisis.
Selon mes choix, le papier peut être soit entier (comme le kiri chinois) permettant de travailler en pleine page sans symétries, soit plié (comme le kirigami japonais) permettant de travailler en symétrie. Si je plie mon papier, je ne le fais qu'une seule fois, c'est un choix personnel, qui me permet de faire des détails très fins. Ensuite, si je souhaite faire une dentelle différente autour de mon travail noir, les couleurs ne manquent pas. Mais, c’est là que le choix esthétique intervient pour ne pas rendre l'œuvre trop « kitsch ».
Je pourrais laisser mon travail ainsi fait, mais je poursuis mon activité, en ajoutant des couleurs de provenance différentes selon mon inspiration. Le but est d'égayer l'histoire, qui s'adresse avant tout à un jeune public. Je reprends donc tous les détails, que je souhaite mettre en couleur en collant par devant ou par derrière un papier coloré de mon choix. J'utilise pour cela une pince plate. Comme le peintre, je reviens quelques fois beaucoup sur mon travail avant le collage pour être bien sûr d'avoir choisi les bonnes couleurs.
Je réfléchis également aux planches intermédiaires (les pages de gauche en dentelle du livre). Je les dessine au crayon sur des feuilles blanches. Les éditions Circonflexe me demandent de le faire pour qu'elles soient reprises par leur graphiste. Elles sont donc dessinées puis découpées par mes soins afin de donner au graphiste une idée de ce que je souhaite. Le graphiste reprend mon travail à l'ordinateur pour permettre à l'imprimeur de réaliser les pochoirs à l'emporte-pièce.
Tout est pensé jusqu'au mouvement du tournage des pages par le lecteur. Je réfléchis, avant d'envoyer l'ensemble de mon travail à Circonflexe à la manière dont le livre sera feuilleté par le lecteur. L'emplacement des planches photographiées et des pages ajourées est prévu avant la maquette du livre.
J'écris également la préface de tous mes livres pour expliquer mon choix, mon travail et l'historique du conte choisi. L'ensemble de mon travail découpé est ensuite photographié par Olivier Frajman, qui réside à Troyes.
Le choix de la conception de l'album, la mise en page, la couleur de la 1ère et de la 4ème de couverture ainsi que la maquette du livre sont réalisés par Circonflexe qui passe ensuite à l'impression, la distribution et la commercialisation du livre.
J'interviens ensuite dans des librairies, des bibliothèques, des médiathèques ou des municipalités qui m'invitent pour des dédicaces, des ateliers d’enfants ou d’adultes, des expositions d'originaux afin de montrer la différence entre mon découpage et mes livres et expliquer mon travail. Mes dédicaces se font toujours aux ciseaux, ce qui permet aux personnes de voir mon travail spécifique et atypique.

chaperon rougeNous pouvons constater le résultat de votre talent et de votre extraordinaire habileté. Mais vous arrive-t-il d’avoir un geste malencontreux et de devoir recommencer une planche entière après des heures de travail assidu ?  

Au départ c'était souvent le cas, il m'arrivait de ne pas être satisfait de mon travail. Non pas à cause d'un geste malencontreux, qui est réparable en demandant plus de temps, mais par soucis d'esthétique. Actuellement, je fais peu d'erreurs, mais on n'en est jamais à l'abri, même après des années de travail assidu. Il faut rester humble devant cet art !

Qu’est-ce qui vous a donné l’idée d’inclure des éléments de couleur dans vos découpages ? J’ai remarqué que vous encadriez souvent soigneusement vos images par d’autres découpages. Est-ce là une touche personnelle ?  Une référence à une tradition ?
Déjà dès 2006, j'incluais dans mes compositions des couleurs provenant de papier de chocolat rouge, vert et doré pour donner de la luminosité à mes fenêtres et à certains décors de chalets. Depuis les fables de la Fontaine, j'utilise des couleurs variées provenant de différents papiers de texture, de couleur et d'épaisseurs différentes allant de 60 à 120 g/m².
Le plus dur pour moi à travailler, est le papier calque, qui « roule » au collage. Le Petit Chaperon rouge en est une expérience car le rouge est en papier calque.
En discutant avec mon éditeur, il est très vite apparu que l'encadrement montrait ma spécificité. J'ai donc pris l'habitude « d'habiller » mes illustrations centrales par un encadrement en « dentelle » en lien avec le conte. L'encadrement est donc une suite logique pour moi de l'illustration centrale. A chaque illustration correspond son encadrement. Ils vont de pairs.
De plus, lors d'expositions, pour montrer mon travail de dessin et de découpage/collage, j'ai pris l'habitude de mettre mes originaux dans des encadrements transparents permettant ainsi aux visiteurs de voir mon travail de découpage/collage (au recto) mais aussi mes dessins (au verso) de l'œuvre terminée.

Parlez-nous de votre collaboration avec votre éditeur et avec le photographe… 
Mon éditeur me laisse une grande liberté dans mes choix littéraires ainsi que dans ma composition.Depuis le livre d' « Hänsel et Gretel », il me demande de participer au dessin et à l'élaboration à l’emporte-pièce de la page de gauche. Ainsi, je dessine au crayon et découpe aux ciseaux un modèle pour chaque page de gauche, qui est repris par une graphiste de Circonflexe. Après avis commun, le dessin est découpé à l'emporte-pièce pour figurer dans le livre.
Olivier Frajman, le photographe, est devenu un conseiller précieux pour la mise en valeur de mes compositions. Lors des shootings, nous passons beaucoup de temps pour mettre en valeur mon travail (presque 3 heures pour un livre). Ses conseils m'aident également à concevoir l'élaboration de mes futurs ouvrages qui sont chaque fois différents.

la fontaineOn ne peut s'’empêcher de vous poser la question que tous les enfants et les adultes doivent vous poser : combien de temps vous faut-il pour réaliser un ouvrage ?
Etant enseignant de métier avec une classe, j'arrive à consacrer 30 heures par semaine à ma passion. Mais, durant les vacances, c'est pour moi une activité à plein temps. Pour réaliser une planche de livre, je mets entre 45 et 90 heures de travail selon sa complexité (symétrie ou asymétrie, apport de couleurs, finesse du travail, complexité de l'encadrement...). Je réalise entre 13 et 17 planches par livre.
Pour vous donner quelques exemples:
Le Petit Chaperon rouge m'a demandé 9 mois de travail, Le Petit Poucet 10 mois, Hansel et Gretel 11 mois, La Chèvre de M. Seguin : 11 mois,Les Fables de La Fontaine, par contre, m'ont demandé 4 ans de travail car j'en ai fait 40 à raison de 10 par an et seulement 15 fables célèbres ont été sélectionnées par Circonflexe pour paraître dans le livre. Le temps n'est pas un obstacle pour réaliser ce qu'on désire, ce qui prime c'est l'esthétique de la réalisation, qui est fonction de chaque individu (découpeur).

Vous semblez avoir surtout illustré des contes traditionnels et des auteurs classiques : « Le Petit Chaperon Rouge », « Le Petit Poucet », « Boucle d’Or et les Trois Ours », « Hansel et Gretel », « Les Fables de La Fontaine », « La chèvre de Monsieur Seguin »… Qu’est-ce qui vous attire vers ce type de littérature ?
Lorsque j'ai commencé à découper, j'ai débuté par des scènes d'alpage. Habitant à Troyes en Champagne, j'ai eu l'idée de faire les Fables de La Fontaine avec cette technique. Devant leur succès, j'ai continué avec son contemporain Charles Perrault. Comme mon éditeur me laisse carte blanche pour les choix de mes livres, je me suis donc lancé dans une collection classique.
Je suis avant tout un professeur des écoles, qui connait bien les enfants. Par mes livres, je souhaite apporter une manière différente de lire une illustration tout en cultivant le lecteur par mes recherches. Par mes animations, je souhaite transmettre et partager ma passion.

Est-ce que vous songez à illustrer aussi des textes contemporains ?
Si un auteur ou une maison d'édition me proposait d'illustrer un texte contemporain, pourquoi pas ?
 
Avez-vous déjà pensé à réaliser ce que l’on appelle un « Livre d’Artiste », c’est à dire un exemplaire unique ou à tirage très limité, sur des papiers exceptionnels ?
Je ne connaissais pas cette forme de réalisation étant donné que je me suis toujours adressé à des maisons d'édition pour la jeunesse. L'occasion ne s'est donc jamais fait connaître mais c'est une idée !

Vous participez souvent à des ateliers auprès d’enfants et d’adultes. Comment les aidez-vous à surmonter les difficultés de découpages aussi minutieux ?
Avec des enfants, je suis obligé de veiller avant tout, comme dans ma classe, à la sécurité. Donc, mes ateliers ne se font qu'avec des ciseaux à bouts ronds à partir des illustrations de mes livres. La difficulté n'est pas ici la minutie. J'essaie de donner aux enfants l'envie de regarder mes livres d'une autre façon en leur faisant comprendre la subtilité et leur permettre de rentrer chez eux avec une réalisation qu'ils auront fait eux-mêmes avec leurs propres couleurs.
Avec les adultes, c'est différent. Je fais des ateliers en apportant tout le matériel et j'aborde l'activité avec un motif simple en symétrie. Cela permet aux participants de ramener ainsi une production terminée. C'est motivant ! Ils ne se concentrent qu'un petit moment sur un découpage en voyant toute sa complexité. Ils s'aperçoivent vite que cette activité leur demande : patience, maîtrise de soi et concentration et qu'elle doit être abordée avec humilité. Mon but est de les encourager pour qu'ils puissent avoir ensuite dans une deuxième étape un motif plus grand qu'ils pourront terminer chez eux. Je fais également des conférences et des démonstrations pour expliquer l'évolution historique du papier découpé et faire ainsi partager au public ma passion du découpage aux ciseaux.

Avez-vous déjà travaillé pour un théâtre d’ombres ou sur un dessin animé ?

 Non, l'occasion ne s'est pas encore fait connaître !

Quel est votre prochain ouvrage à paraître ? Et avez-vous une exposition  de vos œuvres prévue ?
Mon prochain ouvrage est actuellement disponible dans toutes les librairies. Il s'agit de « Boucle d'or et les trois ours » aux éditions Circonflexe. C'est mon 6ème ouvrage en partenariat avec Circonflexe. Je continue chaque année avec eux une collection de beaux livres qui peut être vue sur leur site en tapant ce lien : https://www.circonflexe.fr/auteurs-illustrateurs/emmanuel-fornage

Une exposition rétrospective de mes œuvres est prévue du 1er Février au 1er Mars 2019 à « La Maison du Boulanger » à Troyes. A cette occasion, le public pourra se rendre compte de l'évolution de mon travail depuis 2005 regroupant à la fois des œuvres différentes entièrement découpées aux ciseaux. J'effectuerai également des démonstrations. Une dédicace de mes livres sera également programmée.

Quel est le texte que vous rêveriez d’illustrer et que vous n’avez pas encore abordé ?
Je terminerais en vous disant que : le choix est vaste et pour moi, le plaisir est immense lorsque le soir, à la lueur de ma lampe, je découpe avec mes petits ciseaux une histoire, qui m'incite au rêve et m'offre un décor de théâtre d'ombres.


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