L’Étranger version François Ozon : « Percer le mystère de Mersault et mettre en images la vision de l’absurde de Camus »
- Écrit par : Romain Rougé
Par Romain Rougé - Lagrandeparade.com/ Fidèle à l’œuvre d’Albert Camus, cette adaptation propose néanmoins une réécriture moderne, inventive et poétique. Présentée en ouverture du 47e Cinémed à Montpellier, cette adaptation portée par Benjamin Voisin et Rebecca Marder convainc et invite à la réflexion. Lors d’une rencontre avec la presse le lendemain de la projection, François Ozon évoque le (re)travail sur les personnages et la retranscription à l’écran de la philosophie de l’écrivain.
Sur ce qui a particulièrement attiré François Ozon dans le personnage de Mersault :
« J’avais envie, à travers son incarnation, de comprendre et de percer le mystère de ce personnage énigmatique qui est un peu un anti-héros. Ce qui m’intéressait aussi, c’est de mettre en images la philosophie de Camus sur l’absurdité de la vie, qui est au fond très contemporaine. Mersault ne joue pas, il rejette très fortement le système et la vie est pour lui une pièce de théâtre dont il est absent, jusqu’à ce qu’il commette un meurtre pour casser le réel, avoir une étincelle de vie et se révolter. »
Sur l’invisibilisation des arabes dans le livre et comment le film la contrebalance en mettant un coup de projecteur sur la question coloniale :
« Cette invisibilisation des arabes est évidemment choquante dans le livre. Mais il faut la remettre dans le contexte de sa parution, alors que l’Algérie était en encore un département français. À l’époque, ce contexte était connu et n’avait pas besoin d’être explicité. Camus était pourtant très conscient de la question coloniale, il se battait d’ailleurs pour que les Algériens aient les mêmes droits que les Français et il a écrit de très beaux textes sur la Kabylie et la pauvreté. Pourtant, il a réfuté la portée politique de ce premier roman qui lui a un peu échappé.
Réinterpréter l’œuvre avec nos yeux de 2025, c’est prendre conscience de cette invisibilisation et de la question coloniale. C’est notamment pourquoi j’ai souhaité développer les protagonistes en leur donnant des prénoms : Djemila et Moussa (« l’Arabe ») amènent un peu d’empathie à Mersault tout en renvoyant les Français à leur statut de colons. »
Sur la scène-clé du film, celle de la confrontation entre Mersault et l’aumônier (interprété par Swann Arlaud) qui révèle aussi la sensibilité de Mersault :
« S’il n’y avait pas cette scène, je n’aurais pas fait le film ! Toute la philosophie de Camus sur l’absurdité de la vie s’exprime ici. C’est aussi le moment où Mersault prend conscience qu’il a été heureux. Il mesure l’importance de l’instant présent en se révoltant contre les idéologies et les croyances, ce que Camus dénonce particulièrement dans le livre. »
Sur la lumière somptueuse, presque irréelle, dans laquelle baigne le film et le choix de l’image en noir et blanc :
« Le travail sur la lumière va de pair avec le mutisme de Mersault. Avec Manu Dacosse, le chef opérateur, nous avons très vite opté pour le noir et blanc qui apporte une forme de distanciation et correspond parfaitement au rapport au monde de Mersault. Avec le noir et blanc, nos sens sont plus éveillés car nous ne sommes pas distraits par la couleur. Quant à l’atmosphère onirique du film, j’ai souvent pensé aux scènes de rêve dans Les Fraises sauvages de Bergman. »
Sur la prestation (bluffante !) de Benjamin Voisin :
« Il y a quelque chose de presque métaphysique avec Benjamin Voisin parce que dans la vie il est impétueux et très extraverti : c’est un vrai rôle de composition ! Je lui ai conseillé d’aller puiser dans la notion d’absence de jeu de Bresson, notamment pour se sentir en dehors de la société. Il était tellement dans son personnage que certains matins, il faisait exprès de ne pas dire bonjour à ces partenaires. »
L’Étranger
Réalisation et scénario : François Ozon
D’après l’œuvre d’Albert Camus
Sortie nationale : 29 octobre 2025
Avec : Benjamin Voisin, Rebecca Marder, Pierre Lottin, Denis Lavant, Swann Arlaud, Christophe Malavoy, Nicolas Vaude, Jean-Charles Clichet, Mireille Perrier, Hajar Bouzaouit, Abderrahmane Dehkani, Jérôme Pouly, Jean-Claude Bolle-Reddat, Christophe Vandevelde, Jean-Benoît Ugeux
En avant-première le 27 octobre 2025 au Cinéma Diagonal - Montpellier ( 34)