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« Rattraper l’horizon » : Kaboul sans kitchen…ou l’Afghanistan comme on l’a rarement lu.

  • Écrit par : Guillaume Chérel

ActesudPar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Dans la série « Kaboul Kitchen », qui se passait au début des années 2000, tous les expatriés de Kaboul venaient se détendre dans un resto loin des montagnes et des talibans, surtout. En 2005, George Bush était président des Etats-Unis, et Jacques Chirac, celui de la France.

Au même moment, quelque part dans la campagne afghane, un jeune homme s’apprête à partir, comme le ferait tout à chacun, dans le monde entier. La différence, de taille, c’est qu’il vit en Afghanistan. En allant à la capitale, il croit aller dans le « vrai monde », dont il recevait l’écho grâce à une simple radio. Il quitte le désamour d’un père, mollah et maître du village, et laisse derrière lui de longues années d’ennui. Son enfance a été peuplée de présences menaçantes.

Suite à un long périple (vêtu de haillons, muni d’un sac rempli de billets et bijoux cachés, le voyage se déroule caché sous la bâche qui recouvre la benne d'un vieux camion), sur des pistes cahoteuses et poussiéreuses, il débarque enfin, un matin, dans les rues de Kaboul encore marquée par les années d’occupation soviétique. S’il a eu le courage de partir grâce à un ami ingénieur, l’ingénu mal dégrossi va commencer par s’enivrer en compagnie de deux jeunes rebelles (Arman et Sam) passionnés de littérature et de musique. Il fréquente les bordels, philosophe jusqu’au matin, et tente de rattraper des années de jeunesse insouciantes, qu’il croyait perdues.

« Rattraper l’horizon », de Khosraw Mani, est autant un roman d’apprentissage (entre Don Quichotte et Huckleberry Finn) qu’une plongée au cœur d’un pays qu’on connait peu en occident, outre le prisme de reportages télé qui se ressemblent, malheureusement, depuis trente ans. C’est un road-trip moderne, in situ, in vivo, contant l’aventure d’un jeune qui pourrait être iranien, algérien ou soudanais. C’est l’histoire d’une quête de liberté, dans un pays perclus d’interdits religieux. Un récit d’aventures qui rappelle Panaït Istrati et Jack Kerouac, écrit par un cousin de Salman Rushdie, ami de Philip Roth (version « Portnoy et son complexe »). Car la sourde menace est lancinante, obsédante. Le seul moyen d’exercer son libre arbitre et de vivre sa vie est de fuir. De migrer. De couper avec son passé familial, un amour naissant, sa langue, sa terre de naissance.

Déjà auteur de deux romans remarqués, « Rattraper l’horizon » est son premier roman rédigé en langue française, d’où la référence au roumain Panaït Istrati (mais ça pourrait être Yasmina Khadra), avec qui Khosraw Mani partage le talent de conteur. Pas d’apitoiement, ça rigole même, car on ne peut que relativiser d’être encore vivant dans ces contrées violentes à tout point de vue. Aucune leçon de morale non plus, si ce n’est l’idées sous-jacente, et pleine de bon sens, que sans culture et éducation, l’obscurantisme et la barbarie continueront d’abrutir le monde. De religion il est peu question, tant elle est omniprésente. Il s’agit même d’un roman rock & roll, parfois désopilant, fiévreux, sexué. Tout ça au milieu de la « merde », comme le répète un ami du narrateur, dans la partie kabouliote.

Les moudjahidines, et talibans, sont comme des zombies, en arrière-plan, comme des ombres menaçantes mais évitables. Pareil pour les femmes, fantomatiques, ou excessivement érotisées, tant elles ont été évincées du paysage, sous leur burka. Les vraies rebelles, pourtant, se sont elles, comme en Iran et ailleurs. Pas ces hédonistes immatures et autocentrés qui ne pensent qu’à prendre du plaisir. La vraie révolution viendra d’elles, tôt ou tard. « Rattraper l’horizon » est un roman à la fois éternel et moderne. Ou l’Afghanistan comme on l’a rarement lu.

Rattraper l’horizon 
Auteur : Khosraw Mani
Editions : Actes Sud
224 pages 
Prix : 21€
Parution: 20 août 2025


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