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Les enténébrés de Sarah Chiche : un grand roman « mitteleuropéen »

  • Écrit par : Serge Bressan

chichePar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / En automne 2018, on l’a quittée avec une formidable « Histoire érotique de la psychanalyse », on la retrouve en ce cœur d’hiver 2019 avec un troisième roman au titre tout aussi mystérieux qu’attirant : « Les enténébrés ». Psychanalyste et psychologue clinicienne auteure, entre autres, de deux romans (« L’Inachevée »- 2008, et « L’Emprise »- 2010), Sarah Chiche joue la rudesse et le romantisme, et ouvre son texte par une citation de Heinrich von Kleist (1777-1811) : « Eh bien, mon excellent ami, dit monsieur C., vous êtes désormais en possession de tout ce qui est nécessaire pour me comprendre. Dans le monde organique, nous constatons que plus la réflexion est obscure et faible, plus la grâce qui en surgit est souveraine et rayonnante ». 

Le 28 septembre 2015, un jour de chaleur étouffante, la narratrice arrive à la gare centrale de Vienne, en Autriche. Elle y vient de Paris pour y rédiger un article sur les conditions d’accueil des réfugiés. Elle croise le regard d’un homme âgé, il lui semble épuisé- comme elle. A propos du vieil homme, la jeune femme dit : « Je sens que ça n’est pas simplement moi qu’il regarde. Il fixe un point dans le lointain, que je reconnais soudain sans pouvoir le nommer. Je sais que c’est là d’où je viens et là où je veux aller ». On sait vite qu’elle se prénomme Sarah, qu’elle est studieuse et solitaire et que, dans la vie du quotidien, elle est psychologue (tout comme l’auteure !). A Paris, elle partage les jours et les nuits de Paul, un intellectuel réputé pour ses textes sur la fin du monde… Présentant « Les enténébrés », Sarah Chiche confie : « Le roman commence par un soleil trop vif. Bien sûr, le point de départ est une histoire d'amour, mais ce qui m'intéressait, c'était de faire du climat, un personnage à part entière »…
A Vienne, la jeune femme fait la connaissance de Richard, il est musicien, violoncelliste célèbre dans le monde entier. Ils se rencontrent, s’aiment, Sarah fuit Paul mais, rentrée à Paris, lui écrit. Il revient vers elle qui, dès lors, va vivre dans le secret. Deux vies menées simultanément, deux vies qui se répondent, se complètent, s’opposent… Aimer double, aimer différemment et autrement. Chez Sarah Chiche et les enténébrés, il en est ainsi : on agit double. Il y a la générosité et l’intérêt. Pour l’autre, pour soi… Et puis, Sarah part sur une autre enquête, ses fantômes se pointent, les drames de sa famille reviennent à la surface. L’histoire familiale se cogne à l’Histoire, ça commence en fin de 19ème siècle, ça court jusqu’au terme de la Deuxième Guerre mondiale, ça brasse les indépendances africaines des années 1950-1960, ça en arrive au dérèglement climatique de ce 21ème siècle naissant… Dans ces pages de joie mélancolique, par exemple, un souvenir : « La première fois, j’avais 10 ans, je visitais les châteaux de la Loire avec ma mère. Tout à coup, tout ce qui nous entourait devint un rêve rêvé par d’autres auxquels j’avais rêvé mais qui étaient morts. La réalité avait une consistance à laquelle je ne pouvais plus croire. Ce fut un grand malheur ».
Au fil des pages de ce texte lumineux dans les ténèbres, les blessures d’un passé violent s’ouvrent à nouveau- ont-elles jamais été fermées ? Grand roman « mitteleuropéen » en quatre parties dans lequel le passé est un passage, « Les enténébrés » joue avec le conscient et l’inconscient. Au lecteur de trouver quelle est la part, dans ce roman, dans cette fresque humaine, de la fiction et de l’autofiction… Le macabre n’est jamais loin dans ce voyage où des êtres « faits » sont lancés dans une quête d’authenticité…

Les enténébrés
Auteur : Sarah Chiche
Editions : Seuil
Parution : 3 janvier 2019
Prix : 21 €


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