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Le cœur blanc : Catherine Poulain au fil des saisons

  • Écrit par : Serge Bressan

poulainPar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Pour décor, le Vaucluse. L’été finissant, l’automne pointant. Dans les champs, c’est le temps des récoltes. Asperges, melons, fraises, fleurs de tilleul, olives, cerises, abricots, raisins… Fleurs, fruits, on ramasse, on cueille puis on trie. Le travail, harassant, est effectué par des saisonniers. Leur quotidien, c’est le sujet d’un grand roman, « Le cÅ“ur blanc Â», de Catherine Poulain. A 56 ans, elle signe là son deuxième roman après l’impeccable « Le Grand Marin Â» paru en février 2016 (plus de 250 000 exemplaires vendus, une dizaine de prix et de traductions). Sans bruit, la romancière a donc pris place dans le monde des lettres- tout en y restant à distance. Le succès, assure-t-elle, ne change rien à sa vie, si ce n’est qu’il lui a permis d’acheter des outils et du matériel pour améliorer sa maison…

Femme frêle, née à Barr (tout près de Strasbourg), Catherine Poulain a connu mille vies- au gré de ses voyages, elle a été barmaid à Hong Kong, employée dans une conserverie de poissons en Islande et sur les chantiers navals aux U.S.A., ouvrière agricole au Canada, pêcheuse pendant dix ans en Alaska, et retour en France, saisonnière, bergère et ouvrière viticole, en Provence et dans les Alpes de Haute-Provence. C’est d’ailleurs son expérience de saisonnière qui a grandement inspiré « Le cÅ“ur blanc Â». Elle confie : « Pendant des années, j’ai planté les lavandes, préparé les greffons, travaillé la vigne, récolté des olives, du tilleul, des cerises, des abricots, des asperges... Tout est pénible. Tout travail physique est épuisant, il s’agit juste de l’accepter. Moi, j’adorais être fatiguée, j’étais dans la danse. Le corps se défend, puis s’habitue, s’endurcit. Il fatigue, calme, apaise Â». Elle précise également ne pas avoir souhaité évoquer la pénibilité, dans un roman qui se déroule entre 1986 et 1996, mais plutôt de « l’accueil réservé à ces saisonniers, immigrés clandestins pour la plupart. Ils sont le plus souvent maltraités, vivent dans des cabanons sans eau ni électricité. Il n’y a pas beaucoup de respect là-dedans mais la peur est des deux côtés Â»â€¦
Pour ouvrir « Le cÅ“ur blanc Â», une citation de l’écrivain, poète et peintre Henri Michaux (1899- 1984) : « Je vous écris d’un pays lointain / il faut que vous le sachiez / souvent les arbres tremblent Â». Puis une précision de la narratrice : « Les champs étaient nus. Ils s’étendaient jusqu’aux sombres limites du ciel Â». On y croise Ahmed qui rentre « sur sa mobylette, le cou entre les épaules, un bonnet ramené bas sur les yeux, ses lourdes chaussures gorgées d’eau Â». Il y a aussi le fils du patron, adolescent aux cils de jeune fille… Et puis, Rosalinde. On sait tout d’elle, on ne sait rien d’elle, « la tigresse aux cheveux rouges » ainsi que les hommes l’ont surnommée et qui tournent sans élégance autour d’elle. Rosalinde a sa fierté, elle est insaisissable, elle rêve de cette liberté qu’elle ne sait en préciser l’essence, même pas les contours. Elle espère, elle a peur. Espoirs fous sous le soleil de plomb dans ces champs de labeur, peurs de tous dans ces étés de tous les dangers. On lit : « Le chant glacé et mélodieux de la rivière, sa peur, le poids terrible d’une attente folle entre les remparts des montagnes qui la cernent, mais quelle attente cette épée qu’elle pressent toujours, suspendue dans la nuit des arbres qui l’écrase- sur son cÅ“ur blanc, sa tête rousse de gibier des bois. Oh que tout éclate enfin pour que tout s’arrête Â». Il y a aussi l’amitié-amour d’une autre femme- est-ce la possibilité d’un apaisement ? ou juste une illusion ?
Avec une grâce toute en émotion et en fragilité, Catherine Poulain offre un bel hommage aux saisonniers, à ces femmes et hommes qu’on met si facilement dans la case des « moins que rien Â»â€¦ Oui, on a bien là un des grands romans de l’année…

Le cœur blanc
Auteur : Catherine Poulain
Editions : L’Olivier
Parution : 4 octobre 2018
Prix : 18,50 €

« J’aime être physique dans l’écriture Â»

Elle dit : « Calamity Jane, c’est mon héroïne ! Â» A 56 ans, Catherine Poulain a déjà vécu mille vies. Depuis peu, elle en a ajouté une autre, celle d’écrivaine. Lors de la parution de son deuxième roman, « Le cÅ“ur blanc Â», elle a fait un tour promo. Et au fil des entretiens et rencontres, évoqué de nombreux sujets. Morceaux choisis.

Bière « La bière, c’est la boisson parfaite. Ça « désoiffe Â» et ça réconforte quand on a bien travaillé. On est bien, ça arrondit les angles et ça euphorise. Sauf que certains ne savent plus s’arrêter Â».

Ecriture « J’aime être physique dans l’écriture. J’aime parler de l’univers sensitif, de l’univers sensoriel qui nous entoure. Je ne suis pas intéressée par les idées. J’ai envie de parler de la vie et des réalités de la vie mais ça passe d’abord par le senti, le ressenti, le vécu et les corps. Donc, la langue doit suivre le rythme. C’est pour cela que j’ai supprimé la ponctuation dans les dialogues, pour qu’on entre immédiatement dans le vif du sujet Â».

Incrédule « Face au succès de mon premier roman, j’avoue que je suis restée très incrédule. Pendant la promotion du « Grand Marin Â», j'avais parfois l'impression d'être une usurpatrice, montée en épingle, alors que ma place était dehors, à travailler, j'ai eu du mal à m'en remettre, mais heureusement je vis à la campagne et, une fois rentrée dans la pinède avec mon compagnon et mon bon gros chien, j'oubliais tout Â».

Liberté « J’ai ma maison rouge à bricoler. Sans elle, je deviendrais folle. Je dispose d’un immense jardin et comme je veux construire des cabanes dans les chênes, et des passerelles entre elles, qui sont autant d’espaces de liberté, je crois que rien ne sera jamais terminé. Et puis il y a la liberté de l’écriture et de la fiction Â».

Saisons « J’aime beaucoup l’automne, j’aime bien l’hiver parce qu’il faut se battre, évidemment le printemps est merveilleux parce qu’on sort de l’hiver et qu’on a eu froid, mais j’ai l’été aux tripes. La fin de l’été, c’est le déclin, c’est tragique… Â»

Violence « Oui, je parle toujours de combat, il en faut un pour vivre, pour se lever le matin. Dans « Le cÅ“ur blanc Â», je parle d'une vraie violence, il y a dès femmes qui vivent des choses épouvantables. Pour autant, je pense, oui, qu'il faut se relever par soi-même, sans compter toujours sur l'aide d'autrui, est-ce à cause de cela ? On m'a dit que j'allais me mettre certaines femmes à dos avec ce livre. Je ne suis pas une opposante de MeeToo, mais je suis contre la victimisation Â».


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