Un monde à portée de main : Maylis de Kerangal, l’art du trompe-l’oeil
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Un jeune homme- Jonas, à la casquette. Deux jeunes filles- Kate l’Ecossaise aux cheveux platine et Paula (nom de famille : Karst) aux yeux vairons. Dans ce café noir de monde, on fume, on boit, on se raconte ses souvenirs de prime jeunesse. Souvenirs du temps de l’Institut de peinture de Bruxelles, 30 bis rue du Métal, ces jours et ces semaines entre octobre 2007 et mars 2008… là où on a appris l’art du trompe-l’œil, cet art qui peut faire passer un panneau de bois pour une plaque de marbre. Après les très réussis « Naissance d’un pont » (2010) ou « Réparer les vivants » (2014), Maylis de Kerangal explore un autre univers, c’est « Un monde à portée de main »- l’un des romans les plus attendus de cette rentrée estivale 2018 : « Paula s’avance lentement vers les plaques de marbre, pose sa paume à plat sur la paroi, mais au lieu du froid glacial de la pierre, c’est le grain de la peinture qu’elle éprouve. Elle s’approche tout près, regarde : c’est bien une image ». Comme elle s’était intéressée aux secrets des ponts et chaussées puis à ceux de la transplantation cardiaque, Maylis de Kerangal plonge là dans les abymes de l’illusion, du trompe-l’œil avec une précision et une technicité quasi chirurgicale. Mais qu’on se rassure, « Un monde à portée de main » n’est pas seulement, uniquement un roman sur cet art du trompe-l’œil. La romancière suit le destin de cette Paula Karst, belle jeune femme aux yeux vairon qu’au fil des pages, on va découvrir toute habitée par le Faire de l’artisan. L’écriture hypnotique de Maylis de Kerangal déclenche les questions : d’où vient Paula Karst- tout juste sait-on qu’elle est enfant unique et qu’à Bruxelles, c’était le temps des débuts de la vie d’adulte ? Comment et quand est apparue sa vocation qui, dans l’école de la capitale belge, lui fera découvrir qu’il existe un autre rapport au réel, ce fameux « monde à portée de main » ? Comment et pourquoi se retrouve-t-elle dans les grottes de Lascaux- du moins, dans leur réplique où le factice et le trompe-l’œil font loi artistique puisqu’elle va participer au « fac-similé ultime », celui de Lascaux IV, et peindre, comme aux premiers jours de l’humanité ? Et puis, dans ce roman où se mêlent lyrisme et documentaire, dans ce roman rythmé par les couleurs et les matières, on appréciera sa première phrase, délicieux tourbillon de pas moins de dix-huit lignes…
Un monde à portée de main
Auteur : Maylis de Kerangal
Editions : Verticales
Parution : 16 août 2018
Prix : 20 €