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Violette Leduc : la femme au petit renard ou la poésie de la privation

  • Écrit par : Catherine Verne

Violette LeducPar Catherine Verne - Lagrandeparade.fr/ Dans ce court texte dense, l'écrivaine dresse moins un portrait qu'elle ne rassemble les fragments épars d'une identité fêlée, celle d'une mendiante parisienne. Il y a là plus de l'approche cinématographique que de la fixité picturale et il y a, surtout, du poème en prose.

Le regard du lecteur tourne et vire, emporté par les vagues virevoltantes de l'écriture qui se propose de cerner un personnage toujours sur le point de se dérober à l'objectif. Car ces ressacs sont ceux de la vie, dont le style ici imprime la dynamique sauvage au récit. On traverse donc à l'envi ces courants contraires, et de la vie et de l'écriture, tournoyant comme les jupons de la mendiante, battus au vent des caniveaux. On suit cette dernière entre les rues parisiennes, pénétrant l'espace toujours relancé, rouvert aux endroits les plus obscurs d'une logorrhée marginale. En ce point ramassé du verbe, en ce focus de la caméra s'il en était, le miracle de la poésie opère, nouant entre eux les fils du jupon et de la voie lactée, de la nappe cirée et du chapeau élimé, plaçant l'héroïne exactement sur le plan inouï où deux pluies se rencontrent, la pluie d'étoiles à ciel ouvert et celle des pièces tombant dans sa main. Tout un univers en somme se déploie entre les lignes de ce poème en prose, depuis la brisure identitaire et en marge des esthétismes probables. Captivé par le rythme sans loi de l'écriture itinérante, on en explore la généreuse quoique revêche syntaxe. On marche avec la mendiante, rivé à ses bottines; avec elle, on a froid et faim. Et on compte, les grains de café ou les sous qui restent. De cette traversée quasi documentaire en terre de privation, on ressort étourdi et retourné, pris d'un vertige que seul procure le grand art littéraire, celui qui sait paradoxalement dire le vide en recourant au plein, parler du manque par effet de saturation, en faire un objet d'ivresse. Car ce très beau texte est une parole sans fin sur l'insondable. Il parle et parle encore, comblant l'abyssale interrogation qui nous ronge quand nous souffrons, de faim, de froid, de pénurie quelle qu'elle soit. Il parle de la pauvreté digne et sans pathos en relevant son propos de cette fraîcheur insolente qui tient au style inégalable de Violette Leduc. De l'âpreté en toute chose puisque de la précarité. De la beauté en toute chose puisqu'avec poésie.

La femme au petit renard
Auteur: Violette Leduc
Editeur: Gallimard
Parution: 8 septembre 2016
Prix: 7,50 euros

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