« Les amants nomades » : Fanny & Robert-Louis Stevenson, le couple aux semelles de vent
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.com/ Il n’est pas étonnant que Jennifer Lesieur, déjà autrice de plusieurs biographies d’écrivains – dont une remarquée de Jack London - , se soit intéressée au couple Fanny et Robert Louis Stevenson (1850-1894).
Comme Charmian (London), qui fut plus qu’une épouse, Fanny, se mua en infirmière, protectrice, garde-fou, cuisinière mais aussi et surtout une compagne complice, quasiment à son égal, sur tous les plans, grâce à son côté « garçon manqué », comme on disait avant. Sans avoir le talent de l’auteur de « L’île au trésor », elle fit plus que taquiner la plume (elle qui se rêvait artiste, peintre en particulier) et fut une réelle aventurière, notamment lors de sa jeunesse au Far West. Elle savait travailler de ses mains, que ce soit pour « bricoler » ou travailler la terre, alors que l’écossais avait un aspect éthéré, sentimental, délicat.
Rappelons que, derrière le patronyme de R-Louis Stevenson, synonyme de littérature d’aventure, se cache un gringalet souffreteux mais plein d’énergie (créatrice), qui sans une épouse hors norme (l’impétueuse Fanny) n’aurait sans doute pas écrit le quart de son œuvre. Cette Américaine, de dix ans son aînée, déjà mariée et mère de famille, avait un côté Calamity Jane, roulant ses cigarettes d’une main, et dont les armes à feu, en cas de besoin, ne lui faisaient pas peur. Pionnière à la conquête de l’Ouest, elle a fini par fuir en Europe un premier mari qui la trompait effrontément. En France, elle rencontre Louis, ce fils de bonne famille, indiscipliné d’Édimbourg, alors apprenti écrivain. Très vite, ils s’entendent sur le fait que la vraie vie ne vaut d’être vécue que dans le « Grand Dehors », expression inventée par feu Michel Le Bris, grand spécialiste de Stevenson (et de Jack London), à qui Jennifer Lesieur rend hommage en fin d’ouvrage. Bref, dans la nature, à la belle étoile, à l’instar de John Muir, plus que de Thoreau, dont Stevenson se moqua dans un essai qui en surprit plus d’un (il le taxait d’imposteur, pour résumer).
Stevenson s’est lancé dans son célèbre voyage avec un âne, dans les Cévennes, peu après sa rencontre avec Fanny. C’est pour elle qu’il risque sa vie en Californie pour la rejoindre. Le climat froid et humide de San Francisco ne lui réussit pas. Il lui rappelle celui d’Edimbourg, d’où il est originaire. Sa santé fragile conduira le couple, enfin marié, après le divorce de Fanny, à vivre en « amants nomades » jusqu’à s’établir aux Samoa, dans le Pacifique, où l’écrivain mourra, à 44 ans d’un AVC (alors qu’il souffrait essentiellement des poumons, sans être tuberculeux). Sans elle, encore une fois, il n’y aurait jamais eu de « Dr Jekyll et Mr Hyde » (ils ont eu l’idée ensemble et elle lui a fait retravailler une première mouture), encore moins d’« Île au trésor », puisque c’est grâce au fils de cette dernière, Lloyd, avec qui Robert-Louis aimait jouer, et à qui il aimait raconter des histoires, que l’idée a germé.
Ecrivaine, journaliste, et féministe, Jennifer Lesieur n’a de cesse de rappeler l’importance de ces femmes puissantes qui ont eu l’intelligence de parvenir à exister dans l’ombre de leur génie de mari. Elle n’oublie pas non plus de mettre en valeur l’engagement des auteurs, parfois trop en avance sur leur temps. Ainsi, au contraire de Jack London, coupable de récits racistes (même en remettant dans le contexte de l’époque, c’est dérangeant), R-L Stevenson s’est très vite fait accepter par les peuples polynésiens qui l’ont accueilli, et il ne se sentait pas d’une race, ni d’une caste supérieure. Tolérant, il était affable, pétillant, et ouvert aux autres, à l’écoute. Trop parfois. Dans ce cas, la « sorcière de la forêt », surnom affectueux donné par les autochtones à Fanny, recadrait les fautifs vigoureusement.
Qu’en aurait pensé Michel Le Bris ? Sans doute aurait-il préféré la seconde partie du récit. Laquelle se passe dans les îles des mers du sud, encore une fois, comme pour Jack et Charmian, à bord du Snark (pour les connaisseurs, le bateau des London). Dans la première, il est beaucoup question de santé, physique et mentale (les pauvres, ils ont souffert le martyre, elle n’a dû sa survie qu’à sa forte constitution) et de problèmes familiaux. C’est l’écueil du genre. Pour être complète, une biographie se doit d’entrer dans les détails (évoquer les amitiés, comme celle d’Henry James, et les inimitiés d’illustres inconnus). On s’y perd parfois, avec les prénoms, tellement le casting est vaste.
Dans la deuxième, il y a le souffle de l’aventure. L’impact d’une histoire vraie, et d’une passion pour la littérature avant tout. Excellemment écrit, « Les amants nomades » (prix du Livre de Plage des sables d’Olonne 2025) n’est pas seulement une invitation au voyage dans des pays lointains, c’est avant tout une déclaration d’amour à la vie en mouvement, libre et sauvage. C’est aussi un reportage sur les coulisses des forçats de l’écriture. Lesquels se tuaient littéralement à la tâche pour non seulement créer une œuvre d’art mais en vivre et payer tout le monde (arroser la fameuse famille). Jennifer Lesieur n’oublie pas de le répéter, car c’est l’essentiel. Stevenson, qui était généreux, comme London, une dernière fois, mais aussi Melville, Conrad, Hemingway, Alexandra David-Neel, Ella Maillard… et quelques autres, dans le genre bourlingueurs (et gueuses…) ont réussi le tour de force d’avoir eu des existences fulgurantes à la hauteur de leurs œuvres.
Les amants nomades (Fanny & Robert-Louis Stevenson)
Editions : Arthaud
Autrice : Jennifer Lesieur
277 pages
Prix : 19, 90 €
Parution: 12 mars 2025