Un Marlon nommé Brando : une biographie romancée passionnante de Samuel Blumenfeld
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Lorsque Marlon Brando meurt le 1er juillet 2004, à 80 ans, il est gras comme un loukoum et isolé dans le bunker qu'il s'est créé tout seul, à la fois proche et loin d'Hollywood. Ce jour-là, ce n'est pas seulement un grand acteur qui s'est éteint mais aussi une légende du cinéma, la grande passion de Samuel Blumenfeld, reporter au magazine M. Le Monde. Les fans de Brando disent de lui qu'il a révolutionné le jeu d'acteur (de grand écran), grâce à son physique sensuel, à la fois viril et féminin (pas efféminé) qui attirait à la fois les femmes et les hommes.
Même James Dean, impressionné, essayait de l'imiter avant de se tuer prématurément dans un accident de voiture. Pour des générations entières, il reste le Vito Corleone du Parrain, ou l'inquiétant Kurz dans Apocalypse Now, mais c'est dans Un tramway nommé Désir (1947) qu'il a explosé, s'est imposé comme un acteur incontournable du cinéma américain. Déjà, dans Les révoltés du Bounty (1960), on sent qu'il n'y est plus (il veut s'installer à Tahiti). Après Un dernier tango à Paris, dans les années 70, c'est le début de la dégringolade (psychologique) : il ne court plus que les cachets, sur de grands ou petits films, afin de financer ses lubies, comme la création de ce paradis artificiel de Tahiti, où son fils, Christian, a tué le petit ami de sa sœur, Cheyenne, fille de Marlon qui finira par se suicider.
Quand le narrateur rencontre Marlon Brando, en 2003, sur les hauteurs d'Hollywood, il découvre un ogre qui regarde en boucle ses anciens films. Épuisé, et ruiné par les pensions de ses divorces, tel un Roi Lear qui aurait trop enfanté (plus de 15 enfants), dont un fils meurtrier, il n'est plus la star accomplie, défenseur des amérindiens, qui acheta un atoll à Tahiti, mais un survivant parano, qui attend la mort et cherche à l'apprivoiser. Un fascinant face-à-face se crée avec le narrateur qui sera son guide, pour mourir, voire son exécuteur (testamentaire). L'un des intérêts du récit de Samuel Blumenfeld est d'oser s'attaquer à l'icône, mais avec finesse, comme l'avait fait Truman Capote, dans un article du New Yorker, en 1957, titré Le Duc en son domaine, au grand dam de la star qui s'était senti trahie. L'écrivain, au moins aussi acteur que Brando pour arriver à ses fins, avait joué de son intelligence pour amadouer la « bête ».
Blumenfeld n'a pas écrit un livre à charge mais il nous fait comprendre que cet homme, devenu paranoïaque et misanthrope, aurait dû faire une longue thérapie plutôt que de s'exposer ainsi à la vue du monde entier. Quelque chose ne tournait pas rond chez lui et il en était conscient, au risque de faire du mal à son entourage proche : « Je me souviens de ma peur panique la première fois que j'ai intégré que nous n'étions que de passage ici » », dit-il au journaliste français venu l'interviewer. Il n'y a que feu l'acteur Harry Dean Stanton (Paris Texas), à qui il demande ce qu'il pense de lui, qui ose lui dire : « Je pense que tu n'es rien. Vraiment rien du tout. » Comme les plus grands acteurs de cinéma, Robert Mitchum, ou Depardieu chez nous, il sait que ce métier, considérant à mentir en gros plan (le théâtre c'est autre chose) n'est pas des plus nobles (la méthode Actor Studio a bon dos) : « Acteur est le métier le plus con du monde », dit-il. Au passage, il égratigne le jeune Léonardo Di Caprio, qui ne « comprendra jamais rien. ».
Une des scènes les plus étranges est celle où Brando tombe amoureux d'un acteur lilliputien de 71 cm, Nelson de la Rosa, qu'il serre dans ses bras en se lovant dans un hamac (on se croirait dans un épisode de Twin Peaks de David Lynch...). Le corps en lambeaux, les neurones en bataille, à la fin de sa vie, sur les hauteurs de Mulholland Drive, Brando avait, parait-il, un téléviseur posé sur son énorme ventre. L'écran passait Sur les quais d'Elia Kazan, la fameuse scène où il se trouve à l'arrière d'une limousine en compagnie de Rod Steiger. Et là il se met à critiquer la mise en scène de Kazan, quasiment sur son lit de mort... Comme quoi, suggère l'auteur du livre, à l'instar de Delon chez nous, sa plus belle maîtresse aura finalement été le cinéma. Samuel Blumenfeld parvient à nous surprendre encore avec le mythe Brando. En mélangeant réalité et fiction, il a parfaitement illustré l'adage selon lequel quand la légende est plus belle que la réalité, il faut choisir la légende (cf. L'homme qui tua Liberty Valence, 1962).
Les derniers jours de Marlon Brando
Editions : Stock
Auteur : Samuel Blumenfeld
256 pages
Prix: 18, 50 €
Parution : 21 août 2019