La légèreté de Catherine Meurisse : une révérence émouvante à la Beauté
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Villa Médicis, Rome, novembre 2015. Devant les Niobides, suppliant et agonisant sous les flèches d'Apollon, une jeune femme ne peut s'empêcher de faire des analogies troublantes entre le mythe grec et la réalité brûlante de l'actualité. Une actualité dont elle est une victime exponentielle. Une actualité qui l'a transpercée de part en part et pèse maintenant comme un couvercle sur son âme hébétée.
Catherine Meurisse est dessinatrice depuis plus de dix ans pour Charlie Hebdo. Le 7 janvier 2015 elle est arrivée en retard à la réunion hebdomadaire de la rédaction. A cause d'un chagrin d'amour. Grâce à un chagrin d'amour. L'absurdité commence là. Comme Luz, qu'elle retrouve devant les locaux, une galette des rois à la main, et qui est rapatrié avec elle chez leurs voisins de bureau. Puis se produit l'impensable. Un acte barbare tonitruant. Perte du sens à portée de tir.
Comment un artiste qui se bat pour la liberté d'expression arrive-t-il à survivre encadré de gardes du corps en permanence? Comment retrouver le sens du combat mené quand on a devant soi un champ de ruines et de pleurs? Comment se relever et y croire encore lorsque la légèreté a été sauvagement assassinée ? Peut-on d'ailleurs la ressusciter cette insouciance ? Peut-elle renaître de ses cendres? Autant de réflexions que soulève la si spirituelle Catherine Meurisse dans cet album bouleversant.
"La légèreté" émeut non seulement en tant que témoignage sensible d'une rescapée du Charlie (qui refuse ici toute aspérité larmoyante ou vindicative) mais aussi car cette confession autobiographique offre une réflexion universelle sur la difficulté et les tentatives pour retrouver du sens après un choc émotionnel d'une extrême violence. Oui, l'on peut survivre, réussir à poser un pied après l'autre, esquisser un sourire même, supporter vaillamment l'adversité. Dessiner même, vivre. Faire tout comme du moins. Retrouver la légèreté nécessite cependant autant de temps que de mystère, de patience que...d'un miracle. Catherine Meurisse nous offre sa solution : le "syndrome de Stendhal" a été à ses yeux "le seul capable d'annuler le syndrome du 7 janvier". Surcharger son oeil d'oeuvres d'art, s'enivrer de marbres de Paros, d'huiles en clair-obscur, de vestiges pierreux, re-connaître une oeuvre musicale, picturale ou littéraire qui lui est chère...bref, terrasser l'horreur par l'éblouissement de la beauté. On n'en attendait pas moins d'une telle esthète, auteure notamment des mémorables " Mes hommes de lettres", "Le Pont des arts" et "Moderne Olympia"...
Au passage, ne faîtes pas l'économie de la préface de Philippe Lançon, aussi émouvante que juste, aussi inspirée que sensée. Catherine Meurisse a toujours eu l'art de la mise en abîme et des balades enthousiasmantes bras dessus bras dessous avec des figures tutélaires de l'art et de la littérature : son livre joue le rôle d'une secousse salvatrice car il a su, avec sincérité et pertinence, exprimer l'indicible chaos des émotions . "La légereté" joue le rôle d'un baume qui, s'il ne cicatrise pas, éclabousse de lumière...par le truchement complice des Lumières d'une femme engagée, libre et brillante.
La Légèreté de Catherine Meurisse
Editions : Dargaud
Parution : Avril 2016
Prix : 20 €.
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