Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Fais la chose juste, fable de notre temps qui interroge le réel.

Au début est la projection de l’éventration d’immeubles, par des engins aux allures de dinosaure. La scène s’éclaire sur des piliers gris, vestiges de ce qui fut un quartier. Alors, quand les habitants d’une cité apprennent, par voie de presse, la destruction de leur barres et immeubles, ils s’interrogent, le moment de sidération passée. Ils s’interrogent sur eux, sur leurs liens avec les amis, les voisins, le tissu urbain. Sur leur capacité à accepter ou à agir, à trouver leur place dans l’espace et la société. Ils sont cinq jeunes, de banlieue ou des quartiers, comme on dit aujourd’hui, qui, entre souvenirs récents, faits de disputes, de camaraderie, d’amitié, se regroupent, autour d’une restauratrice-cafetière, adepte du bio. Ils réfléchissent sur la façon de sauver leur lieu de vie et sur leurs liens avec la ville et ses habitants. Ils décident que réhabilitation vaut mieux que destruction. Reste le moyen pour être entendus des édiles. Ce sera donc, après bien des tergiversations, moqueries, doutes, un « flashmob », devant la mairie. Il faudra, pour cela quelques répétitions, quelques ajustements.

Faire le deuil

Fais la chose juste, pièce écrite et mise en scène par Clémentine Billy, est le résultat d’entretiens et de dialogues avec des habitants des quartiers populaires de Clichy, en banlieue parisienne. Les mots, dès lors, sonnent juste, sans concession au politiquement correct. Rien n’est occulté des relations difficiles au sein des couples, des désillusions et des dérives occasionnées par l’alcool ou les drogues. On s’invective parfois, mais on parle surtout de camaraderie, d’amitié, de rêves, plus que de projets d’ailleurs. On se retrouve au café, chez la coiffeuse, pour causer, s’engueuler aussi, mais surtout pour ne pas sombrer et s’effondrer comme les bâtiments, proies de la voracité des promoteurs et investisseurs. Cette gentrification est-elle une malédiction, un bien ? Autant de questions qui poussent cette bande d’habitants de la cité à s’unir pour faire « chose juste », comme rendre un hommage collectif à une personne décédée : faire le deuil d’une âme du quartier et de celui d’une époque qui change à grande vitesse.

Vivre en société

Bien servie par six comédiens –quatre femmes, deux hommes- la pièce interroge sur notre capacité à vivre ensemble, à « faire société » selon la formule en cours. Sous forme de reportage-fiction, elle n’élude aucune des problématiques qui traversent nos vies, sans toutefois sacrifier la magie de la scène, la poésie, l’humour. Quant aux vêtements et à la musique des années 1980, ils sont comme un continuum, un pont jeté entre deux époques, La musique, omniprésente, les chorégraphies y contribuent. Quant au décor, il est personnage : les piliers gris, vestiges d’habitation transforment l’espace : les zones d’ombres sont les recoins où se lient les amours, où on deale. Le bistro, le salon de coiffure, le terrain de basket qu’on devine à travers le ballon avec lequel joue un enfant, les émissions de la radio locale, tous ces lieux et moments de sociabilité sont aujourd’hui menacés par la spéculation, l’abandon des services et espaces publics. Comme le suggère un des personnages : on n’aime pas seulement un lieu, mais ceux qui l’habitent. Un spectacle, ancré dans l’époque, qui donne la parole aux « invisibles », et les place sur le devant de la scène.

Faire la chose juste

TEXTE, MISE EN SCÈNE : Clémentine Billy
SCÉNOGRAPHIE : Hervé Cherblanc
CRÉATION LUMIÈRE : Enzo Cescatti
CRÉATION MUSICALE : Isis Prager
COSTUMES : Malou Galinou
CHORÉGRAPHIE : Chanelle Boujdi
RÉGIE GÉNÉRALE : Selim Kerrou
AVEC Julia Cash + Constance Guiouillier + Maïka Louakairim + Ilyes Hammadi Chassin + Nino Rocher + Cindy Vincent

Dates et lieux des représentations:

- 12 représentations du 5 au 30 novembre 2025 au Théâtre de La Reine blanche, Paris 18e (01.40.05.06.96.).