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Les Lettres Persanes revues et corrigées par Guillaume Clayssen ou quand Montesquieu expérimente le théâtre moderne

  • Écrit par : Guillaume Chérel

PersanesPar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ Le théâtre de l’Etoile du Nord annonce la couleur : « Ce lieu place l’expérimentation au cœur de sa programmation, que cela soit en théâtre, danse ou spectacles jeune public. Le théâtre est engagé auprès des créateurs dont la démarche comporte une prise de risque et dont le cheminement artistique, le propos, le langage (qu’il soit théâtral ou chorégraphique) s’écarte des sentiers battus, de la pensée consensuelle ».
Le public doit donc s’attendre à voir un spectacle « expérimental » qui va le surprendre, voire les déranger. Les provoquer : « Méfiez-vous de votre première impression, c’est la bonne », disait Boris Vian. Oubliez le livre lu au collège. Dès le début des « Lettres Persanes », revues et (quasiment) corrigées par Guillaume Clayssen, le public de l’Etoile du Nord est donc presque « agressé » d'emblée… Sans dévoiler comment et pourquoi, certain(e)s se sont laissé prendre. L’effet voulu est réussi. On est perturbé. Tout sauf indifférent. Les riffs de guitare électrique couvrent parfois la voix des acteurs ; les crachouillis du micro font leur effet; la lenteur des pas sur le plateau agace ; comme les cris soudains, ou cet acteur drôle qui surprend en se déculottant littéralement, enfile un tutu et continue comme si de rien n’était, les « affaires » à l’air. Puis arrivent la corde à sauter et les échasses…. On dirait parfois un sketch de Gad El Maleh, ou des Nuls, sur la danse et le théâtre « comptant pour rien ».

Et pourtant, le texte demeure tellement actuel. On appréciera donc les interventions (en off) de l’acteur « persan » (iranien), au regard si intense, et l’énergie humoristique du Monsieur Loyal « naturiste » qui nous interpelle. Il y a de l’idée et des trouvailles chez Clayssen. Mais de Montesquieu, parfois il n’y a plus. On ne le comprend plus. On ne l’entend plus. On le regarde. Des images et des sons restent longtemps après la représentation. Et des questionnements reviennent : que faisait donc cette espèce de sirène chantante sur des échasses ? Mais de quoi était-il question, déjà ? Deux seigneurs persans (Usbek et Rica) entreprennent un voyage d'étude en France. Ils quittent tous d'eux Ispahan, leur ville natale, le 14 mars 1711. Ces deux voyageurs ont des personnalités et des démarches différentes. Usbek, très attaché à sa patrie est un grand seigneur « éclairé ». Rica, son compagnon de voyage a une jeunesse, une gaieté et un sens aigu de l'observation qui le portent à rire et à faire rire. Usbek, souhaite venir en occident, à la fois pour échapper aux représailles qui le menacent dans une cour corrompue, où sa franchise lui a valu plusieurs ennemis et aussi avec le désir d'effectuer un voyage d'étude. Usbek quitte presque à regret un sérail de cinq épouses larmoyantes, qu'il confie à plusieurs eunuques despotes. Rica, lui, est libre de toute attache et vient en France avec le souhait de côtoyer les salons, les beaux esprits et les jolies femmes. Les deux voyageurs traversent la Perse, la Turquie et l'Italie et commencent une correspondance polyphonique avec leurs compatriotes restés à Ispahan. Ils arrivent à Paris en mai 1712. Leur absence de préjugés et leur esprit vif et ingénu leur valent de s'intéresser à la pratique politique, à l'étrangeté des mœurs, et aux traditions religieuses... Ils en soulignent tous les ridicules. Leur esprit impertinent  les conduit à en critiquer tous les travers. Leur plume acerbe met en cause les fondements même de notre société. Pendant ces huit années qu'ils vont passer en Occident, les deux seigneurs persans échangent 161 lettres avec un nombre important (vingt-cinq) de correspondants, ce qui leur permet d'aborder tous les grands sujets de leur époque. Usbek traite de domaines touchant à la politique, la morale, la religion, l'économie ou la sociologie. C'est ainsi qu'avec le mollah Méhémet Ali, il évoque le pur et l'impur; avec Roxane, la première épouse de son sérail, il compare les mœurs des femmes en Orient et en Occident. Avec Rhédi, il dialogue sur la culture et les arts, tandis qu'avec Mirza , il évoque les sources du bonheur....  IIs reçoivent également des nouvelles de leur pays. Au travers de ces échanges, l'occident et l'Orient se mesurent. Puis, Usbek et Rica empruntent des chemins différents, ce qui les amène à établir une correspondance entre eux. Ces échanges permettent de mesurer la différence entre ces deux voyageurs. Leur chronique française permet de couvrir les dernières années du règne de Louis XIV et la régence.
Les quinze dernières lettres (147 à 161) relatent la tragédie du sérail d'Usbek durant la période de 1717 à 1720. Nous pouvons y lire différentes versions de ce drame qui couve : celle des femmes, celle des eunuques et celle des serviteurs. On y apprend que Zélis s'est dévoilée à la Mosquée, que Zachi couche avec une de ses esclaves, qu'un jeune garçon a été trouvé dans le jardin du sérail et que Roxane, l'épouse préférée a été surprise dans les bras d'un jeune homme.  De Paris, Usbek essaye de régler les conflits et de rétablir l'ordre. En vain, Roxane avant de s'empoisonner, crie sa haine de Usbek et revendique son droit à la liberté. La mise en scène épistolaire du suicide héroïque de Roxane, coup de théâtre ultime, transforme en tragédie un roman jusque-là essentiellement satirique et philosophique.
Soit. Guillaume Clayssen déploie, dans ce spectacle, toutes les correspondances que lui inspire le célèbre roman épistolaire de Montesquieu. Alliant les observations clairvoyantes des personnages à une parole plus contemporaine, en passant par le chant, il nous livre ici un regard critique et poétique sur l'Orient et l'Occident. Implantée dans le 18ème arrondissement de Paris, L’Etoile du nord est une scène dédiée à la jeune création et aux artistes émergents. On l’aura compris. Il faut relire « les Lettres Persanes » de Montesquieu. Mais qu’aurait pensé De Montesquieu de ce spectacle ?

Les Lettres Persanes
Auteur : De Montesquieu
Adaptation et Mise en scène : Guillaume Clayssen
Avec Olav Benestved : les ennuques.
Floriane Comméleran : les femmes du sérail.
Hugo Dillon : Rica.
Emmanuelle Gasquet : l’étrangère.
Nicolas Laferrerie : le musicien (guitare / saxo).
Eram Sobhani : Usbek le persan.


Jusqu’au 13 février 2016 à  L’Etoile du Nord Théâtre.
16, rue Georgette Agutte – 75018 Paris
Tel : 01 42 26 47 47 / www.etoiledunord-theatre.com

 


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