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Bête noire : la bête en sommeil

  • Écrit par : Christian Kazandjian

bête noirePar Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Bête noire, convoquant peurs et préjugés ancestraux, interroge sur le rejet de l’autre.
14 juillet, un soir, un village en France. C’est la fête, nationale qui plus est. Qui aurait le toupet de déranger ce grand moment de bal, de beuverie ? Et pourtant, il est venu, le paria, issu d’une famille de gens du voyage installée là depuis longtemps ; mais à l’écart tout de même, sans relations, sinon commerciales avec les gens du cru, bien que le père et avant lui son père soient originaires du coin. A ce que les bons citoyens considèrent comme une provocation, ils répondent par une chasse à l’homme. Elle se terminera par le meurtre de cet étrange étranger. Le village fera, alors, corps pour soutenir celui qu’il considère comme le vengeur de l’honneur du village. Même le boucher, pourtant lui aussi un peu isolé car originaire du village d’à côté, prendra la défense du « bon père de famille Â». Il faut dire que ces gens du voyage « auraient mieux fait de continuer leur voyage Â». Les corbeaux se déchaînent, envoyant à la mère de la victime des lettres anonymes où est faite l’éloge du meurtrier qui a débarrassé le village d’un « parasite Â», de sa bête noire, un pauvre gars un rien demeuré, chapardeur à ses heures, mais pas violent pour un sou. Un comité de soutien pour payer les frais de justice se constitue, pour pallier à l’injustice de voir condamner un homme du village. Le coupable n’est-il pas le mort, enseveli par son meurtrier sous un tas de fumier ? Chacun évoque le drame, relayé par toute la presse, y va de son commentaire, justifie l’acte criminel, étale son mépris de l’étranger quand ce n’est pas une haine viscérale, ancestrale, insensée.

Une histoire vraie

Tirée d’un drame ayant secoué un village il y a dix ans, Bête noire fouille au plus profond les peurs, la haine, inconscientes le plus souvent, qui se révèlent à la suite d’un meurtre raciste, d’un lynchage par une population entière. La lâcheté n’est point absente, chez les corbeaux, les « justiciers Â» qui comptent sur l’un d’entre eux pour se souiller les mains de sang, puis applaudissent le « héros Â». Le texte met en lumière les croyances anciennes, absurdes, qui justifient les faits. Mais, il interroge chacun de nous sur notre propre humanité. Combien de fois ne nous sommes pas posé la question de savoir comment nous réagirions dans des circonstances dramatiques, historiques ou quotidiennes ? Le texte de Sarah Blamont, d’une belle densité dramatique, sans qu’en soit absent l’humour, est traversé de fulgurances poétiques, parfois inouïes (la description, par le boucher des richesses gastronomiques de son étal mettent l’eau en bouche). Et comment ne pas saluer la performance de Jérôme Fauvel, assumant seul la charge de tous les personnages, sans affèterie, dans ce spectacle qu’il met en scène. La scénographie : un sol recouvert de unes de journaux (à scandales ?), une route tantôt reliant les gens, tantôt coupant les relations avec les indésirables, souligne le propos. Le roman noir de Dick Tracy, La bête qui sommeille, évoquant un fait similaire, parlait des Etats-Unis de l’époque de l’apartheid. C’était il y a longtemps, ailleurs, pouvait-on penser. Bête noire se révèle donc, pièce salutaire, d’une brûlante actualité quand mugissent de plus en plus près, et fort, les sirènes du racisme, du repli sur des identités fantasmées.

Bête noire
Auteure : Sarah Blamont
Interprétation et mise en scène :Jérôme Fauvel


Dates et lieux des représentations: 
- Jusqu'au 31 mars 2022 au Théâtre de Belleville, Paris 11e (01.48.06.72.34.).


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