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Entre chien et loup : « perforer l’âme humaine jusqu’à en découvrir son éclat »

  • Écrit par : Xavier Paquet

Entre chien et loupPar Xavier Paquet - Lagrandeparade.com/ Fond noir, écran géant éteint, des lignes de néon dessinent l’arrière scène. Au devant, un plateau reconstitué : table, chaises, lit, étagères, accessoires de décoration et d’ameublement. L’ensemble est lumineux et regorge de vie par la présence des comédiens déjà sur scène, qui observent, discutent, chuchotent, s’invectivent, parlent de leurs réflexions et de leurs travaux des derniers mois.

Ils vivent en communauté, plutôt repliée sur elle-même et s’interrogent : Tom, leur leader charismatique prend la parole : il est persuadé qu’ils sont capables de tolérance et plus ouverts que leur fonctionnement en autarcie le laisse supposer. Il leur propose une expérience grandeur nature : intégrer Graça, jeune exilée brésilienne qui fuit la milice et les brimades gouvernementales de son pays. Chacun la questionne, chacun l’accepte progressivement, chacun enlève son masque social pour petit à petit l’intégrer et (se) prouver qu’il a des valeurs humaines.

Puis au fur et à mesure que la vie en communauté s’installe, les premiers éléments de rejet, les suspicions, les tensions qui éclatent, la vraie nature qui reprend son dessus et l’exclusion. Définitive ? Non Graça est acceptée de nouveau sous conditions et sera par la suite utilisée et maltraitée tant physiquement que moralement. L’intégration au final aura-t-elle réellement jamais eu lieu ?

Dans ce huit clos entre théâtre et cinéma, les acteurs jouent des acteurs qui réecrivent le film Dogville de Lars Von Trier et sont confrontés à l’expérience immersive pour en réecrire la fin : ils tournent le film pour en éviter la chute dramatique. Mais peut-on échapper à ce destin ?
Pour parler cinéma et théâtre, il en fallait simultanément les codes: la scénographie mélange habilement théâtre dans le théâtre, mise en abyme, tournage en direct de scènes dont le montage se fait sur le plateau et projection de scènes déjà jouées et montées.
Cela provoque un décalage temporel comme si l’action du direct devait prolonger ou s’opposer de ce qui a déjà été joué. Analogie du destin de Graça, comme si elle ne pouvait s’affranchir de la partition de Dogville et du destin de son héroïne.

Ce mélange des genres est très sophistiqué et il s’en dégage à la fois une esthétique mais aussi un contrechamp de l’histoire : le cinéma, déjà enregistré et qui peut paraître comme une fiction face au théâtre, art vivant qui permet de corriger et de vivre réellement l’instant présent. Il peut aussi dérouter le spectateur ne sachant plus ce qui révèle du cinéma et du théâtre, du film Dogville et de sa réinterprétation, du comédien et de son personnage, de son interprétation et de ce qu’il ressent.

La mise en scène alterne moments posés, introspectifs, très lents et plus énergiques pour décomposer et recomposer les décors : le mouvement comme mantra d’action et de changement des âmes. Cette ambivalence de rythme casse la montée en puissance dramatique et on aurait aimé une tension qui s’installe avec encore plus de temps et d’intensité. Il n’en reste pas moins que « Entre chien et loup » est une superbe pièce portée par une troupe d’acteurs au diapason dans la recherche de la justesse et de l’instinct quasi animal de son personnage et avec de jolis clins d’œil au film comme la projection de la scène de la camionnette.

Au delà de son message politique sur la situation au Brésil, la pièce nous interroge sur ce qui nous pousse à accepter ou à refuser l’autre, sur la frontière parfois très mince entre intégration et rejet et ce qui nous fait basculer. Son titre est évocateur : ce moment entre chien et loup où la lumière du jour bascule vers l’obscurité, où l’ombre et la lumière s’alternent en chaque individu, où le noir d’une salle de cinéma s’oppose aux projecteurs de la réalisation. Mais aussi la part animale de chacun de nous entre la douceur du chien et la férocité sauvage du loup.
Une belle analogie comme morale de la pièce qui réussit avec subtilité à « perforer l’âme humaine jusqu’à en découvrir son éclat ».
L’état final du plateau, destructuré et désorganisé, en contraste total avec son installation d’entrée, nous fait dire que perforer l’âme humaine peut aussi faire ressurgir sa noirceur.

ENTRE CHIEN ET LOUP
d'après Dogville de Lars Von Trier
mise en scène  : Christiane Jatahy

Avec : Véronique Alain, Julia Bernat, Elodie Bordas, Paulo Camacho, Azelyne Cartigny, Philippe Duclos, Vincent Fontannaz, Viviane Pavillon, Matthieu Sampeur, Valerio Scamuffa

Dates et lieux des représentations: 

 - Jusqu'au 04/12/21 au Théâtre National Populaire (TNP) - Tel. +33 (0)4 78 03 30 00 - Villeurbanne
- Du mar. 11/01/22 au mer. 12/01/22 au CDN de Normandie - Rouen - Tel. +33 (0)2 35 70 22 82
- Du mar. 18/01/22 au mer. 19/01/22 à la Scène Nationale du Sud-Aquitain - Bayonne - Tel. +33(0)5 59 59 07 27
-  Du mar. 25/01/22 au mer. 26/01/22 au Théâtre des Salins - Tel. +33 (0)4 42 49 02 00 - Martigues
- Du mer. 02/02/22 au ven. 04/02/22 au Théâtre du Nord - Lille - Tel. +33 (0)3 20 14 24 24
- Du mar. 22/02/22 au jeu. 24/02/22 - Le Maillon - Strasbourg - Tel. +33 (0)3 88 27 61 81
- Du sam. 05/03/22 au ven. 01/04/22 - Odéon-Théâtre de l'Europe - Paris - Tel. +33 (0)1 44 85 40 40
-  Le 07/04/2022 au Théâtre du Jura - Delémont
- Du jeu. 05/05/22 au ven. 06/05/22 - Scènes du Golfe - Vannes
- Du mer. 18/05/22 au ven. 20/05/22 au Piccolo Teatro di Milano - Teatro d'Europa- Tel. +39(0)2 57 48 08 09
- Du ven. 03/06/22 au sam. 04/06/22 à deSingel - Anvers - Tel. 00 +32 (0)3 248 28 28
- Du jeu. 09/06/22 au ven. 10/06/22 au Théâtre National de Prague - Narodni-divadlo


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