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Le triomphe de l’amour : une récréation marivaudienne de Denis Podalydès

  • Écrit par : Julie Cadilhac

ClauzadePar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Tout comme les protagonistes qui accèdent à la retraite du vieux philosophe Hermocrate, le spectateur, lors des premières minutes de la pièce, s’enfonce dans les marais de l’incompréhension.

Pas évidente , en effet, l’ouverture de cette pièce et l’on peut comprendre que le 12 mars 1732 au théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, lorsqu’elle est représentée pour la première fois par les Comédiens italiens, elle ait reçu un accueil mitigé…S’il est vrai qu’à l’époque, c’était surtout l’invraisemblance historique qui choquait le public, en 2018, c’est la multitude d’informations qui se presse et cette langue, aussi élégante que précieuse, qui nécessite un temps d’adaptation qui désarçonne…

"Le Triomphe de l’Amour" raconte comment une jeune princesse, du nom de Léonide, imagine non seulement de s’introduire, sous un habit masculin et le nom de Phocion, dans la retraite d’un vieux philosophe, Hermocrate, « une âme solitaire et sauvage Â», qui vit en compagnie de sa sÅ“ur, Léontine, et d'Agis, bel héritier d’un trône usurpé mais aussi de se faire aimer à la fois comme homme, par Léontine, vieille fille prude et résignée à sa condition ; et comme femme, par Hermocrate et le jeune Agis. L'aide de ses domestiques zélés, ses charmes et artifices calculées réussiront à la rendre irrésistible aux yeux de ses trois partenaires de séduction mais tourneront à sa défaveur lorsque les masques tomberont. Comme toujours, chez Marivaux, la comédie use à plaisir du travestissement et des situations cocasses qu’il provoque, badine avec une langue joueuse, espiègle et qui pénètre à merveille, s’étourdit d’amour et n’est jamais dénuée d’une réflexion philosophique sous-jacente : la fin justifie-t-elle les moyens? Dans l’amour, qui aime-t-on, sinon soi-même? ( C’est en effet à chaque fois la découverte du portrait qui déstabilise les deux vieux amants).

printemps des comediensComme il est drôle de voir Léonide changer de tactique pour faire fléchir tantôt Hermocrate, Léontine ou Agis ! Véritable comique de caractère, elle s’avère également une figure féminine théâtrale passionnante ; ce rôle de femme entreprenante et qui cherche à prendre sa destinée en main est d’un avant-gardisme délicieux…même si ce dernier se ternit au dénouement dans des topoï conservateurs. Percevoir aussi toute l’imprégnation des traditions italiennes de la commedia dell’arte chez Marivaux, avec ses lazzi et une galerie de personnages-type reconnaissables ( Arlequin, les amoureux, le docteur, Zanni..), ne manque pas de charme dans cette machination de fieffés coquins où chacun sert ses propres intérêts.
Jean-Noël Brouté incarne avec une légèreté plaisante un Arlequin sautillant et gaffeur et donne plusieurs fois la réplique à Dominique Parent, jardinier bourru mais pas si benêt qu’on croit, pour offrir des parenthèses complices de qualité. Philippe Duclos est un Hermocrate au basculement des convictions touchant, Stéphane Excoffier joue la chasteté repentie avec justesse et fraîcheur, Thibault Vinçon convainc en amoureux naïf et Leslie Menu porte avec talent le rôle de cette princesse de caractère. Quand on badine avec l’amour, on sait bien que tout risque d’aller à vau-l'eau…Plaisir d’amour ne dure qu’un moment et les coeurs n’ont pas de maître…Voilà ce que nous rappelle le grand Marivaux dans cette comédie fraîche et envolée qui s’achève cependant sur une note amère. L'amour s'est vengé du mépris qu'on en a fait...

La scène des coup de théâtre où Hermocrate, Léonine et Agis découvrent avec stupéfaction la supercherie s’avère un des moments les plus plaisants de la pièce. L’on aime aussi la manière délicate dont Denis Podalydès ménage les rencontres entre Léonide et Agis : variation des postures amoureuses, émotions à fleur de peau, véritables Paul et Virginie au milieu de cette nature sauvage, leurs premiers frissons joués sont d’une sensibilité contagieuse.

Dire que la scénographie d’Eric Ruf est splendide - et exploitée avec pertinence !-, ménageant une ambiance à la Fragonard, avec une toile d’arrière-scène faite de nuages romantiques sur ciel bleu azurin et d’un plateau au centre duquel trône une cabane aux transparences joueuses ; s’extasier sur les costumes brillants de Christian Lacroix ; louer la musique inspirée de Christophe Coin ou encore applaudir la distribution et la mise en scène impeccables de Denis Podalydès sont des postures sur lesquelles peu ne s’accorderont. Mais, si l’on peut acquiescer à l’audace du choix de cette pièce du répertoire de Marivaux, qui n’a jamais été l'objet de louanges dont d’autres ont pu se parfaire, cette création bénéficie de tels atouts techniques, logistiques et humains qu’elle n’a reçu hier soir, au Printemps des Comédiens, qu’un accueil bienveillant…et c’est justice, non? A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire…

Ne boudez pas votre plaisir tout de même…cette pièce satisfera tous ceux qui aspirent à vivre un moment de théâtre classique de qualité.

MarivauxLe triomphe de l’amour
De Marivaux
Mise en scène : Denis Podalydès – sociétaire de la Comédie-Française
Direction musicale : Christophe Coin
Scénographie : Eric Ruf
Costumes : Christian Lacroix
Lumières : Stéphanie Daniel
Son : Bernard Vallery
Maquillage et coiffure : Véronique Soulier-Nguyen
Assistant à la mise en scène : Laurent Podalydès
Assistante scénographie : Caroline Frachet
Assistant costumes : Jean-Philippe Pons
Peintre décorateur : Alessandro Lanzilloti
Avec : Edwige Baily, Jean-Noël Brouté, Christophe Coin, Philippe Duclos, Stéphane Excoffier, Leslie Menu, Dominique Parent, Thibault Vinçon
Photos : Marie Clauzade - Printemps des Comédiens
Production C.I.C.T. – Théâtre des Bouffes du Nord | Coproducteurs associés Maison de la culture d’Amiens ; Les Théâtres de la Ville de Luxembourg ; Théâtre de Liège ; Opéra Royal / Château de Versailles Spectacles ; Châteauvallon – scène nationale ; Printemps des Comédiens/Montpellier ; TNT–Théâtre National de Toulouse | Coproduction Théâtre du Gymnase / Marseille ; La Criée - Théâtre National de Marseille ; Théâtre de Nîmes, scène conventionnée d’intérêt national pour la danse contemporaine ; Espace Jean Legendre, Théâtre de Compiègne ; Théâtre de Caen ; Théâtre Le Forum / Fréjus | Construction des décors Les Théâtres de la Ville de Luxembourg | Confection des costumes Théâtre de Liège

Dates et lieux des représentations:
- Du 7 au 9 juin 2018 à l’Amphithéâtre d’Ô - Festival du Printemps des Comédiens ( 34)
- Du 15 juin au 13 juillet 2018 au Théâtre des Bouffes du Nord, Paris
- Les 20 et 21 juillet 2018 à Châteauvallon Scène Nationale, Ollioules
- Le 6 octobre 2018, à l’Avant-Seine- Théâtre, Colombes
- Les 9 et 10 octobre 2018 à Saint-Nazaire
- Le 13 octobre 2018 au Théâtre des Sablons, Neuilly
- Du 23 au 27 octobre 2018 à Liège
- Les 30 et 31 octobre 2018 à Meyrin
- Les 6 et 7 novembre 2018 à Pau
- Le 10 novembre 2018 à Istres
- Du 13 au 15 novembre 2018 à Brest

Triomphe


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