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Dévoiler (Pièce d’actualité n°14) : Passer la rampe

  • Écrit par : Christophe Martin

la communePar Christophe Martin - Lagrandeparade.com/ L’un après l’autre, ils viennent se placer face à nous sur l’avant-scène, devant le rideau rouge fermé. Ils racontent, non pas leur histoire, mais l’histoire de Boulaye, un migrant, probablement comme eux. Puis le rideau s’ouvre, et en quelques scènes devant des toiles peintes, ces sept hommes tentent de jouer le parcours de ce Boulaye qu’on ne voit pas. Cela commence en Afrique subsaharienne, d’où, on l’imagine, la plupart de ces hommes sont originaires. Après quelques scènes africaines (notamment une longue séquence, comme le temps qu’ils y passent, en Lybie), ils figurent le voyage vers l’Europe en franchissant, en traversant les rangées de fauteuils, escaladant sièges et accoudoirs, « marchant Â» sur les spectateurs. Le voile derrière les gradins (qu’on pensait disposé pour limiter la jauge) tombe et dévoile une autre scène en haut de la salle. Ils y abordent les difficultés à l’arrivée de Boulaye en Europe. Plus tard un autre voile tombe et laisse apparaître un lieu de vie où les acteurs s’installent. Ils ne vont plus en sortir, obligeant les spectateurs à se retourner, à se contorsionner, à se mettre dans une posture inconfortable. Richard Maxwell, le metteur en scène, figure de l’avant-garde américaine, cherche indubitablement à bousculer les positions des uns et des autres, mais n’y parvient que partiellement.

Les comédiens abandonnent la scène pour habiter ce théâtre, mais ils n’en prennent possession que d’une partie. Ils se replient sur le haut de la salle, appelé le paradis au 19ème siècle, là où les populations les plus modestes se massaient et manifestaient aussi bruyamment leur point de vue (voir le film Les enfants du Paradis de Marcel Carné). Comme si ce n’était pas jouer qui intéresse Maxwell et ses protagonistes. Il ne veut pas en faire des acteurs, ils ne sont d’ailleurs pas très convaincants ni investis, notamment pour toutes les scènes sur le plateau. Ils le sont beaucoup plus quand ils passent la rampe. Derrière les spectateurs, on a le sentiment qu’il se joue quelque chose. Mais il a fallu qu’ils passent la rampe « physiquement Â». Avant ce moment, justement, ils n’y parvenaient pas. Et ce n’est pas tant la performance des acteurs ou leur présence qui est en cause, là n’est pas le problème, mais parce que Richard Maxwell ne parvient pas à transcender leur propos. Il n’y a pas la puissance de Hope, tourné sur et avec des migrants d’Afrique subsaharienne au Maroc, film bouleversant de Boris Lojkine (sorti en 2015) qui se focalisait sur une partie du parcours douloureux de ces forçats du voyage. Sur une thématique très proche, la pièce d’actualité n°3, 81 avenue Victor Hugo, créée par Olivier Coulon-Jablonka en 2015 dans le même lieu, était d’une grande force, les migrants y racontaient simplement leur vie et leur destin poignants.
Ici, ils s’installent en haut de la salle, ils ne vont d’ailleurs jamais revenir sur scène, ils restent à la place des spectateurs. Celui qu’on ne voyait pas y apparaît également. Ne va se produire sur scène qu’un ballet un peu désuet de toiles peintes sur fond de musique africaine. Les acteurs ont abandonné la scène, ils ont délaissé le théâtre, le jeu. Comme s’ils voulaient être dans la « vraie vie Â», spectateurs. Ou acteurs de leur vie. Pas sur un plateau de théâtre.

On a envie d’aimer ce spectacle, on a surtout envie d’aimer les acteurs, mais on s’y ennuie. On est également frustré qu’ils ne se dévoilent pas plus. Pourtant ce spectacle est indispensable, parce qu’on ne voit pas ou très peu les migrants sur scène, qu’on a besoin d’entendre leur histoire. Dommage qu’il faille des dispositifs spéciaux comme ces Pièces d’actualités pour que des metteurs en scène, des femmes et hommes de théâtre s’en emparent, notamment dans des structures telles que ce Centre dramatique national. Mais louons le théâtre de la Commune de le faire, de nous permettre de regarder différemment des hommes (et des femmes, même si elles sont absentes dans ce spectacle) stigmatisés, et de les accueillir alors qu’ils sont rejetés un peu partout.


Pièce d’actualité n°14 : Dévoiler

Mise en scène : Richard Maxwell
de Abdramane Doucoure, Moussa Doukoure, Nicholas Elliott, Maxime Fofana,
Kawou Marega, Richard Maxwell, Abdel Kader Moussa Boudjema, Dirk Stevens, Abou Sylla, Abubakary Tunkaba, Sascha Van Riel
Direction générale: Nicholas Elliot
Direction technique : Dirk Stevens
Scénographie :Sascha Van Riel
Production : La Commune Centre Dramatique National d’Aubervilliers

Dates et lieux des représentations:
Du 26 septembre au 6 octobre 2019 à La Commune ( centre dramatique national Aubervilliers - 2 rue Édouard Poisson, 93 300 Aubervilliers ) - Tél: +33 (0)1 48 33 16 16


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