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Opening Night : John Cassavetes, Cyril Teste et Isabelle Adjani en scène

  • Écrit par : Julie Cadilhac

opening nightPar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.com / Film américain réalisé par John Cassavetes dans les années 70, Opening Night raconte comment Myrtle Gordon, une actrice de théâtre reconnue, assiste à la mort d'une toute jeune admiratrice, Nancy, renversée par une voiture alors qu'elle regardait son idole s'en aller à la fin d’une représentation. Bouleversée par ce drame, la comédienne plonge dans une détresse terrible alors qu’elle est en pleine répétition d’une nouvelle pièce dans laquelle elle interprète une femme qui a perdu sa jeunesse. Lors de la première, malgré ses doutes et son état d’ébriété avancé, elle réussit toutefois, grâce à sa force de caractère et le soutien de toute l'équipe, à jouer et à recueillir l’accueil triomphal de son public.

A la genèse du projet d’adaptation de ce film par Cyril Teste, la volonté de se poser réellement la question du public. « Ici, nous ne sommes plus dans le produit, mais dans le processus Â» explique ce dernier. "Celui-ci n’est plus seulement témoin mais partie prenante. Acteur lui-même à part entière. Et différent chaque soir." 
Comme dans les précédentes créations de Cyril Teste, le spectateur découvre une performance filmique aussi inventive que remarquable : le choix d’une image mobile en noir et blanc, de cadrages et de champs/contrechamps esthétiques et qui font sens, de mises en scène et d'effets visuels d’une rare qualité photographique, sont à applaudir vivement. Côté distribution, Isabelle Adjani transperce l’écran de ses yeux clairs et de sa présence fragile, tantôt confrontée à son miroir-jumeau gémissant, tantôt les mèches de cheveux transpercés de lumière aveuglante et dansante, tantôt superposée à sa jeunesse disparue, tantôt l’âme noyée dans les bulles de l’alcool qu’elle absorbe pour oublier…Véritable monstre du cinéma, reconnue pour l'intensité dramatique de ses incarnations, l’implication totale et l'empathie extrême qu'elle offre à chacun de ses personnages, le plus souvent mystérieux, perturbés, névrosés voire déments, la comédienne est touchante dans cette mise en abyme d’elle-même avec laquelle elle sait tout à la fois fusionner... ou mettre à distance. Au sein d’une scénographie magnifique, accompagnée d’une composition musicale pertinente, elle offre une composition fort intéressante de Myrtle Gordon, en proie à un sentiment de solitude et d’incompréhension dévorant. Figure symbolique du caractère éphémère du succès mais aussi du vieillissement inexorable, elle interprète avec talent cette Myrtle Gordon qui cherche du sens dans ce qu’elle joue pour fuir le constat insatisfait de la réalité qu’elle vit et qu'elle s'est construite ( malgré elle?).
Devant cette actrice qui n’arrive pas à s’identifier à son personnage et au coeur de ce processus de création où les ratés, les conflits et les galères s’enchainent, tout est cependant trop téléphoné…et l’on perçoit bien qu’ici l’on joue à rater les choses...ça frise donc parfois le gag ou le mauvais jeu (certaines répliques sont d’ailleurs affligeantes de ce point de vue…) et le contraste de niveau d'exigence entre le travail de la vidéo, ciselée d’une main d’orfèvre, et la réalité du plateau s’avère parfois déstabilisant. Frédéric Pierrot séduit dans son rôle discret de partenaire faire-valoir de la comédienne. Morgan Lloyd Sicard, à l’allure de jeune quarantenaire immature, convainc peu, par contre, dans son rôle de metteur en scène tout à la fois tyrannique et fasciné par l’actrice…Aucune émotion ne traverse leurs échanges. L'on reconnaît tout de même que le rôle n'est pas évident, obligeant l'acteur à changer régulièrement de registre selon qu'il s'ancre dans l'atmosphère pathétique régnant sur le plateau ou s'adresse avec humour et connivence au public...
Cet Opening Night revisité - sombre autopsie d’une actrice désespérée, tentative d'exprimer la face cachée de la représentation, "déglinguée", et " ne sortant pas indemne de ses épreuves" même si " le spectacle a bien eu lieu" -  confortera notre conviction que le collectif MxM et Cyril Teste sont devenus l’un des fers de lance les plus brillants d’une dramaturgie singulière et pertinente où, par le truchement de la caméra, le théâtre s’octroie la possibilité de nouvelles conquêtes narratives et fictionnelles. Ceux qui auront vu préalablement « Festen Â» auront été cependant un peu déçus, de nombreux procédés jouant les bis repetita, et se contenteront de définir cette pièce comme un bel hommage à une grande actrice française, emportant le souvenir émouvant du visage lumineux d’Isabelle Adjani derrière sa voilette de tulle noire…

Opening Night
D’après le scénario de John Cassavetes
Mise en scène : Cyril Teste
Avec : Isabelle Adjani, Morgan Lloyd Sicard, Frédéric Pierrot et la participation de Zoé Adjani Traduction : Daniel Loayza
Collaboration artistique : Valérie Six
Conseil dramaturgique : Daniel Loayza, Marion Pellissier
Scénographie : Ramy Fischler
Création lumière et régie générale : Julien Boizard
Musique originale : Nihil Bordures
Vidéo : Nicolas Doremus, Mehdi Toutain-Lopez
Cadreur : Nicolas Doremus ou Christophe Gaultier
Chef opérateur son : Thibault Lamy
Costumes : Agnès b.
Collaboration costumes : Katia Ferreira
Maquillage, coiffures : Laurence Azouvy [Kelly]
Illustration olfactive : Francis Kurkdjian
Création florale : Fabien Joly
Assistanat à la mise en scène : Céline Gaudier
Assistanat scénographie : Nina Chalot
Régie plateau : Guillaume Allory [Léo] ou Simon André
Régie son : Nihil Bordures, Thibault Lamy ou Jérôme Castel
Régies lumière et olfactive : Julien Boizard ou Laurent Bénard
Régie vidéo : Mehdi Toutain-Lopez ou Claire Roygnan
Photos : Simon Gosselin
Production : Le Quai Centre Dramatique National Angers Pays de la Loire | En coproduction avec Collectif MxM / Les Célestins - Théâtre de Lyon, Bonlieu Scène nationale Annecy, Théâtre du Gymnase - Bernardines, Marseille, Théâtre de St-Quentin-en-Yvelines, Scène nationale, Théâtre-Sénart, Scène nationale, Théâtre de Namur, La Coop et Shelter Prod avec le soutien de Taxshelter.be, ING et du Tax-shelter du gouvernement fédéral belge | En coréalisation avec C.I.C.T. - Théâtre des Bouffes du Nord, Paris | Avec le soutien de Agnès b., de Maison Francis Kurkdjian et du salon Messieurs-Dames | Direction de production Nicolas Roux | Chargée de production Julie Salles.

Dates et lieux des représentations:
- Du 12 au 15 juin 2019 au Théâtre Jean Claude Carrière - Festival du Printemps des Comédiens ( 34)

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