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Gérard Garouste » : une rétrospective pour « l’intranquille »

  • Écrit par : Serge Bressan

garoustePar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / En chemin vers le musée, on se remémore des mots lus la veille. « Ne demande jamais ton chemin à celui qui le connaît. Tu risquerais de ne pas t’égarer Â». Des mots de Rabbi Nahman de Bratslav, posés en ouverture de « L’Intranquille Â», le livre que Gérard Garouste, 76 ans depuis le 10 mars dernier et membre de l’Académie des Beaux-Arts depuis 2017, a publié en 2009. Des mots qui illustrent délicatement la rétrospective que consacre le Centre Pompidou à Paris, à lui le peintre français parmi les plus connus des artistes contemporains. Dans la Galerie 2, niveau 6 de ce monument que certains avaient surnommé « la raffinerie Â» dans ses premières années, pas moins de 120 tableaux majeurs, souvent de très grand format, et aussi des installations, sculptures et Å“uvres graphiques- c’est, là sur les murs, rien moins que « l’autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou Â» comme il avait sous-titré « L’Intranquille Â»â€¦

En France, et aussi ailleurs, c’est simple, Garouste ne fait pas l’unanimité : on aime ou on déteste. Serait-il un incompris ? Il précise : « Je suis le fils d’un salopard qui m’aimait. Mon père était un marchand de meubles qui récupéra les biens des Juifs déportés. Mot par mot, il m’a fallu démonter cette duperie que fut mon éducation. A 28 ans, j’ai connu une première crise de délire, puis d’autres. L’enfance et la folie sont à mes trousses. Longtemps, je n’ai été qu’une somme de questions. Aujourd’hui, je ne suis pas un sage, je ne suis pas guéri, je suis peintre. Et je crois pouvoir transmettre ce que j’ai compris Â». Le Centre Pompidou avait consacré une première exposition à Gérard Garouste en 1988, du 28 septembre au 27 novembre- le quotidien « L’Humanité Â» rappelle les mots de Gérard Garouste : « On ne peut pas parler d’un enthousiasme fou ! La presse spécialisée ne supportait pas que j’aie été le décorateur du Palace [NDLR : haut lieu des nuits parisiennes dans les années 1970- 1980]. Elle a donc fait silence Â». Trente-quatre ans plus tard, il en est tout autre : avec cette Rétrospective 2022, le peintre est fêté en grandes pompes- ce qui fait de cette exposition l’un des événements artistiques de l’année à Paris. Un événement qui met « la folie au bout du pinceau Â», selon l’expression d’un critique parisien.
La commissaire de l’exposition du Centre Pompidou, Sophie Duplaix, commente : « Le regard a changé sur Gérard Garouste. La manière qu’il a d’utiliser le médium traditionnel de la peinture, la figuration, permet de parler d’une chose dont on n’est plus conscient aujourd’hui : l’énorme place du mythe. Sa capacité de raconter des histoires de contextes différents, religieux, antiques. Et d’y introduire des éléments contemporains, de l’ordre de la fable, à travers tous ses animaux». Sur les murs de la Galerie 2 du Centre Pompidou, l’essentiel de l’univers « garoustien Â» est là. L’univers du « plus grand peintre français Â», selon Daniel Templon, célèbre galeriste parisien et un de ses plus fervents admirateurs. Au hasard de la déambulation, nous croisons, là devant nous, ce qui semble un (magnifique) autoportrait avec un long nez de Pinocchio, ou encore Balaam, Alt-Neu Shul sur le Pont-Neuf, Adhara, Le Classique ou encore les Indiennes sans oublier « Le Banquet Â», le célébrissime triptyque qui a inspiré un excellent texte à Olivier Kaeppelin : « D’abord, le regard passe entre les surfaces picturales (ciel, eaux, nuages), les personnages ou les sujets qui composent le triptyque. Il entre, grandi par une multitude de points de couleur Â». Et de préciser : « Gérard Garouste ne peint jamais à propos de catégories esthétiques, la peinture est un moyen (…) Il faut qu’il soit le plus juste possible par rapport à « l’histoire picturale Â» qu’il élabore. Gérard Garouste n’a pas le désir de réinventer la peinture à chaque tableau, mais de créer des formes et des espaces qui « incarnent Â» son récit. Il fait exister la peinture à travers le sens qu’il développe par une suite de mises en relation surprenantes Â».
Ainsi, Gérard Garouste est un peintre figuratif, mais avec lui, c’est la « figuration déformante Â». C’est aussi une Å“uvre aux mille et mille énigmes, inspirée par les mythes et les légendes, et aussi les grands textes. Ceux d’Ovide, Rabelais, Cervantès ou encore Kafka, sans oublier les textes fondateurs de la religion juive à laquelle il s’est converti. Dans « En chemin Â», livre paru en 2015, il confiait : « Je dessine ce qui me passe par la tête, cela vient naturellement en dehors de tout contrôle intellectuel, c’est une quête de plaisir. Tout ce qu’il y a de bon dans mes dessins, c’est ce qui n’a pas été décidé. Le dessin est là. Le principe, c’est de ne pas avoir de règle, sauf celle de ne pas perdre mon carnet que j’ouvre à chaque fois qu’une idée me traverse l’esprit… Â» Alors, surgissent ces fantômes et ces hantises qui vont emplir l’œuvre du peintre, graveur et sculpteur et qui l’ont mené, à de nombreuses reprises, à des séjours en hôpital psychiatrique… Tout défile, toute une vie est là, elle transpire dans les tableaux : l’enfance avec un père antisémite qui l’aimait éperdument, l’adolescence en Bourgogne puis dans un internat en région sud-parisienne (ses amis s’appellent Jean-Michel Ribes, Patrick Modiano ou encore Michel Sardou), les premiers pas au théâtre sur scène puis les décors… Aussi les décors de hauts lieux parisiens, le Palace ou encore le Théâtre du Châtelet- longtemps, eu égard à ce passé, le monde de l’art le regardera de travers. Et voudra l’ignorer. « J’ai failli sombrer, confie-t-il. Mes psychanalyses [NDLR : pendant vingt ans] m’ont conduit à la philosophie… à l’idée de reprendre les choses à l’origine, à la source Â»â€¦ Cette source qui a donné son nom à l’association qu’il a créée en 1991 à La Guéroulde (Eure) et qui aide des enfants et des jeunes issus de milieux défavorisés, voire en situation d'exclusion, à s'épanouir en participant à des ateliers animés par des artistes professionnels. Gérard Garouste, magnifiquement « intranquille Â», c’est un credo simple et définitif : « Trois bras, quatre jambes, tout est possible Â». C’est aussi et surtout juste quelqu’un de bien…

A voir
-« Gérard Garouste Â». Exposition jusqu’au 2 janvier 2023. Centre Pompidou (Galerie 2, niveau 6), 19 rue Beaubourg, Paris 4ème.
Horaires : tous les jours de 11h à 21h, le jeudi jusqu’à 23h, sauf le mardi.
Tarifs : 17€, tarif réduit 14€. Gratuit pour les moins de 18 ans.
00 33 1 44 78 12 33. http://www.centrepompidou.fr/fr/

A lire 
-« Gérard Garouste Â». Catalogue de l’exposition, sous la direction de Sophie Duplaix. Editions du Centre Pompidou, 306 pages, 45 €.
-« Le Banquet de Garouste. Autour d’un triptyque Â» d’Olivier Kaeppelin. Seuil, 100 pages, 22 €.
-« L’Intranquille Â» de Gérard Garouste, avec Judith Perrignon. L’Iconoclaste. Collection Proche, 210 pages, 7,90 €.


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