200 Meters : le remarquable film d'Ameen Nayfeh sur le Mur de la discorde
- Écrit par : Carine Roy
Par Carine Roy - Lagrandeparade.com/ « 200 Meters » est le premier long métrage du réalisateur palestinien Ameen Nayfeh. Il s’inspire de sa propre histoire pour raconter le quotidien absurde d’une famille palestinienne contrainte à ne pas vivre ensemble à cause du Mur israélien.
200 mètres : c’est la distance qui sépare Mustafa de sa famille, sa femme Salwa, leurs deux filles et leur fils. Ils résident chacun dans un village palestinien séparés par le Mur israélien : « C’est mon histoire et celle de milliers de Palestiniens, déplore le cinéaste. J’ai eu moi-même à subir la séparation avec ma famille maternelle qui vivait dans un village palestinien, de l’autre côté du Mur. Ce village était mon pays imaginaire lorsque j’étais enfant mais, lorsque le Mur a été bâti, nous nous sommes retrouvés complètement coupés du reste de la famille, grands-parents, oncles, tantes, amis d’enfance. Je garde beaucoup de mauvais souvenirs des checkpoints, comme tout le monde. Je serais intarissable sur le sujet et sur les tragédies induites par cet apartheid. »* La construction de cet incroyable Mur a commencé en 2002, au cours de la seconde Intifada après la mort de 800 civils israéliens dans des attaques terroristes, il a été initié par le gouvernement israélien qui le justifie pour « protéger ses citoyens ». Il s’étend sur 708 km, et environ 500 km se situent à l’intérieur de la Cisjordanie. C’est en majorité une haute clôture surmontée de barbelés et équipée de capteurs. Une route militaire la longe permettant à l’armée israélienne d’arrêter les contrevenants. Dans les zones urbanisées à Bethléem ou à Jérusalem, c’est un mur de béton de près de 9 mètres de hauteur. Les partisans de cette construction emploient le terme de ‘’barrière’’ ou de ‘’clôture de sécurité israélienne’’. Les opposants, qui comptent aussi des mouvements israéliens de gauche, l’appellent, eux, le ‘’mur de la honte’’ ou le ‘’mur de l’Apartheid’’. Il a surtout entériné une paix impossible entre Israéliens et Palestiniens !
« Il y a de cela bientôt treize ans, je traînais chez un de mes amis. Son toit surplombait le Mur et une ville palestinienne de l’autre côté. Cet ami - qui travaille sur des chantiers en Israël - m’a alors dit « avant le Mur, j’allumais une cigarette en sortant du chantier et j’étais à la maison avant même qu’elle ne soit éteinte. C’est à 200 mètres ! Aller au travail maintenant, c’est comme passer le Cap de Bonne Espérance ». C’est ainsi l’absurdité quotidienne que sont obligés de subir Mustafa et sa femme dans le premier film de Ameen Nayfeh. Cette séparation forcée est une souffrance même si le couple se serre les coudes et trouve des subterfuges pour se retrouver... Jusqu’au jour où leur fils est victime d’un accident : Mustafa doit aller le rejoindre à l’hôpital de l’autre côté du mur ! Il va être contraint d’embarquer dans une voiture clandestine pour passer la frontière et va vivre un périple de 200 kilomètres sous haute tension : plusieurs checkpoints à traverser, guidé par des passeurs véreux… A bord, il va retrouver d’autres passagers dont un garçon de 17 ans un peu paumé et un jeune couple formé d’un Palestinien et d’une documentariste allemande qui compte bien filmer cette odyssée quitte à mettre en péril les autres passagers… « Ici, en Palestine, nous avons pris l’habitude de nous adapter aux situations nouvelles, de faire ce qu’on nous dit et de dissimuler nos sentiments. Mais nous ne devons plus l’accepter. La liberté de circuler est un droit humain des plus essentiels qui, au milieu d’une telle brutalité, semble n’être plus qu’un conte de fées. Mustafa, mon personnage principal, a suivi les règles, essuyé des humiliations, pour simplement pouvoir espérer rester avec sa famille. Mais quand ces règles qui aliènent sa vie mettent cette même famille et son devoir de père en danger, continuera-t-il à suivre les ordres ? » Mustafa est remarquablement incarné par l’acteur palestinien Ali Suliman - surtout connu pour ses rôles dans la série Jack Ryan et dans Paradise Now, nommé aux Oscars. Le film a déjà remporté de nombreux prix dont celui du Public aux Venice Days en 2020, programme indépendant organisé en association avec le Festival du film de Venise. Ce road trip de tous les dangers est une réussite et nous tient en haleine. Nous sommes du côté du père de famille, Mustafa, dont les nerfs et la loyauté sont mis à rude épreuve ! Ce film nous amène aussi à nous interroger sur l’utilité de ce Mur qui divise au lieu de réconcilier…
* Les propos du réalisateur sont extraits du dossier de présentation du film.
« 200 Mètres » de Ameen Nayfeh – Sortie annoncée : le 9 Juin.