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Tropique de la violence : l’archipel des laissés pour compte

  • Écrit par : Guillaume Chérel

Tropique de la violencePar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ Le prix Patrimoines a ouvert la saison en décernant sa récompense à Nathacha Appanah pour « Tropique de la violence » (Gallimard), le lundi 19 septembre dernier. Doté de 5 000 euros, offerts « généreusement » par la BPE, une filiale de la Banque postale, ce nouveau prix littéraire a vocation à sacrer un roman de la rentrée littéraire « qui dit le monde tel qu’il va et porte un regard solidaire sur la société ».

 

Son jury, présidé par Daniel Picouly, se compose d'Azouz Begag, ancien ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances, Didier Van Cauwelaert, romancier, Marie-Agnès Lemor, professeur de Lettres et cliente BPE, Guy Martin, chef du restaurant Le Grand Véfour, Jean-Marc Ribes, président du directoire de BPE et directeur du pôle patrimonial de La Banque Postale, Jean-Christophe Rufin de l’Académie française, Laïla Séfrioui, responsable de la communication de BPE, Philippe Vallet, journaliste à France Info, Pierre Vavasseur, écrivain et journaliste au Parisien, Olivier Weber, prix Albert Londres et Floryse Grimaud, secrétaire générale du prix.
Dans ce récit « choral », comme on dit (ou « polyphonie narrative », ça fait mieux encore) cinq voix disent la face cachée de de Mayotte, cette île de l’Archipel des Comores, quasiment oublié par l’Etat Français alors que ses habitants ont voté pour le rester… Français. Sans savoir que ce serait de seconde zone. Ainsi, le quartier défavorisé de Kaweni, à la lisière de Mamoudzou, est un bidonville, un ghetto, un dépotoir, un gouffre, une favela, un immense camp de clandestins à ciel ouvert, une énorme poubelle fumante que l'on voit de loin. Ça pète régulièrement, on en parle à la télé quand il y a des morts, puis on oublie. La population - où les femmes ont un rôle de modérateurs très important - survit en faisant du M’karakara (trafic) mais la délinquance augmente avec la violence comme dans tous les pays où la misère gagne. Et ce pays, c’est la France, rappelons-le, alors que l’action se passe à 12 000 km de Paris, près de la corne de l’Afrique.
D’où le rôle de l’écrivain. Ainsi, Marie puis son fils Moïse racontent le chômage, la misère, la déscolarisation, et la tension entre métropolitains, locaux et immigrés venus des autres îles alentour ainsi que la résurgence de la tradition animiste contre la globalisation occidentale : « Ne t’endors pas, ne te repose pas, ne ferme pas les yeux, ce n’est pas terminé. Ils te cherchent. Tu entends ce bruit, on dirait le roulement des barriques vides, on dirait le tonnerre en janvier mais tu te trompes si tu crois que c’est ça. Écoute mon pays qui gronde, écoute la colère qui rampe et qui rappe jusqu’à nous. Tu entends cette musique, tu sens la braise contre ton visage balafré ? Ils viennent pour toi. »
De facture classique, sans effet de style, le mode de narration opté par la caennaise d’origine mauricienne est une plongée dans l’enfer quotidien d’une jeunesse livrée à elle-même. C’est d’actualité : dans cet archipel magnifique, sauvage, au bord du chaos, cinq destins vont se croiser et nous révéler la violence de leur quotidien. Nous sommes dans l’océan Indien, où les requins de mer sont beaucoup moins dangereux que ceux de terre… Nathacha Appanah publie ici, chez Gallimard, son sixième roman : elle tisse avec beaucoup de réalisme un portrait chaotique et suffoquant de Mayotte où elle a vécu.

Tropique de la violence , de Nathacha Appanah, 192 p, 17, 50 €, Gallimard (collection Blanche).


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