Mon vrai nom est Elisabeth : L’histoire d’un tabou familial ou la triste fin de la zinzin lobotomisée....
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Au début de son récit, Adèle Yon, autrice et narratrice de « Mon nom est Elisabeth », raconte comment, alors qu’elle se roule un pétard, benoîtement, comme le font (malheureusement) des millions de jeunes avides de découvertes, une cousine éloignée s’inquiète exagérément pour sa santé mentale.
Ça lui met la puce à l’oreille. Devenue chercheuse en étude cinématographique (elle est aussi cuisinière), elle réalise qu’elle craint, elle aussi, de devenir « folle », comme la plupart des femmes de sa famille. Peu à peu, elle découvre que cela vient de son arrière-grand-mère, Élisabeth, dite « Betsy », diagnostiquée schizophrène dans les années 1950. Un « non-sujet » lui affirme sa mère, quand elle l’interroge. Il n’en fallait pas plus pour lui donner l’envie vitale de briser le silence. Donc d’enquêter et d’écrire ce livre.
Betsy étant morte avant sa naissance, elle ne dispose, au début, que de non-dits murmurés dont les récits fluctuent. Sa grand-mère était une « vieille dame » (comme si elle n’avait été jeune) « coquette », qui aimait nager, bonnet de bain sur la tête, en sautant comme une « grenouille », dans la piscine de la propriété de vacances. Pas de quoi casser trois pattes à un canard… même boiteux. Là où ça se complique, c’est quand elle apprend qu’elle avait une « cavité » de chaque côté du front, et qu’elle accusait son petit-fils de la regarder nue à travers les murs. Puis elle découvre une maison qui a pris feu. Des grossesses non désirées. C’est à peu près tout. Nous sommes dans un milieu bourgeois, empesé de convenances, renfermé dans son lot de secrets. On n’évoque pas de ces choses-là. Les enfants d’Élisabeth ne parlent jamais de leur mère entre eux, et ils n’en parlent pas à leurs enfants qui, eux-mêmes, n’en parlent pas à leurs petits-enfants.
Comme Voldemort, dans la saga Harry Potter, le nom qu’on ne prononçait pas, le fameux « non-sujet », ne pouvait que ressurgir, accoucher un jour, d’une manière ou d’une autre. Plutôt qu’au forceps, Adèle a choisi la péridurale. Elle y est allé lentement, à défaut d’en douceur, mais sûrement. Sans tomber dans l’analyse lacanienne, Adèle Yon réalise à son corps (et cœur défendant), que si son ancêtre a été lobotomisée, c’est justement parce qu’elle en était un, de sacré sujet. Une femme extravertie, qui aurait fini sur un bucher au moyen-âge, et son prénom éteint à jamais. Au contraire, avec ce premier livre, écrit à la manière d’un reportage littéraire (spécialité des éditions du sous-sol), essentiellement basé sur des échanges épistoliers, et de rares photos, retrouvées dans un grenier, l’enquêtrice redonne vie à cette femme éprise de liberté, tout en se livrant, se délivrant elle-même d’un poids, grâce à un livre.
De ces archives, via des entretiens, elle renoue avec une actualité on ne peut plus pesante. Il ne s’agit pas seulement du poids de l’hérédité, mais des violences qui continuent d’être faites aux femmes. Et plus précisément de la « psychiatrie » balbutiante du XXe siècle, qui s’apparentait à de la torture physique et mentale. Si l’on croit à l’âme, celle de Betsy doit être enfin libérée. Quant à celle d’Adèle Yon, c’est fait depuis un moment. La preuve, elle fait ce qu’elle veut de sa vie. Elle a du talent. Elle est travailleuse. Bref, c’est une femme émancipée du fameux patriarcat. En grande partie grâce au sacrifice de Betsy.
Mon vrai nom est Elisabeth
Editions : du sous-sol
Autrice : Adèle Yon
392 pages
Prix : 22 €
Parution : 4 juin 2025